Une équipe de chercheurs français, écossais et ivoiriens ont étudié les cris qui retentissent dans la forêt du Parc National de Taï en Côte d’Ivoire. Lorsqu’un prédateur, un ennemi ou un danger naturel approche, les mones de Campbell, de petits singes arboricoles, se préviennent mutuellement du danger en communiquant oralement. En enregistrant les cris de ces animaux, les chercheurs ont remarqué l’existence d’une forme de langage flexible et structuré. Une découverte inédite chez des primates non-humains qui remet en question l’origine évolutive de notre langage.
Imaginez-vous petit singe arboricole sautant de branche en branche dans une forêt du Parc National de Taï en Côte d’Ivoire, quand soudain retentit un doux poème : « krak krak-oo krak krak-oo krack-oo… »
Que faites-vous ?
Réponse A : Tous aux abris ! Vous fuyez vous cacher dans les arbres.
Réponse B : Miam, c’est l’heure du repas ! Vous rejoignez le banquet de fruits déposés au sol par vos amis cueilleurs.
Réponse C : Chuuut ! Vous jetez une pierre sur votre voisin bruyant (« Quelle idée de réveiller tout le voisinage ? Non mais sérieux, il n’est même pas 13h du mat’. »)
Réponse D : la réponse D.
Si vous avez répondu autre chose que A, vous voilà mort, égorgé par un léopard, et toute la tribu vous pleure (sauf si vous avez répondu C, petit singe fainéant, les voilà bien satisfaits de votre malheureuse disparition). Mais comment deviner que le danger rôdait tout près ? Eh bien, tout simplement car votre voisin venait de vous informer qu’un léopard était en approche… Mais alors, les singes parlent ? Plus précisément, des chercheurs du laboratoire d’Ethologie animale et humaine (EthoS, Rennes 1), en collaboration avec un psychologue et un éthologue des universités de St Andrews (Ecosse) et de Cocody-Abidjan (Côte d’Ivoire), ont mis en évidence l’existence de ce qu’ils appellent une « proto-syntaxe » chez une espèce de cercopithèques, les mones de Campbell. Ils peuvent ainsi communiquer de façon flexible et structurée entre individus.

Deux grands ennemis : le léopard et l’aigle
Ces petits singes forestiers ont deux grands ennemis : le léopard et l’aigle. Ainsi, ils semblent avoir développé un lexique pour désigner ces deux animaux : krak signifie léopard, et hok signifie aigle. Les chercheurs ont également mis en évidence l’utilisation de suffixes venant moduler le sens de ces cris : krak-oo désigne ainsi n’importe quel danger venant du sol, tandis que hok-oo désigne ceux venant des airs. Leur répertoire contient enfin un sixième cri, boom, qui s’entend généralement en absence de danger. Mais le plus étonnant est que les singes semblent également avoir construit une proto-syntaxe pour mêler ces « mots » à ce qu’on pourrait apparenter à des « phrases ». En organisant ses différents cris dans un ordre précis, le singe peut ainsi communiquer diverses informations à ses congénères, allant de la chute d’un arbre (« boom boom krak-oo krak-oo krak-oo… ») à l’intrusion d’un groupe ennemi sur son territoire (« boom boom hok-oo hok-oo krak-oo krak-oo… »), en passant bien-sûr par l’alerte de la présence d’un prédateur. Si l’existence d’une forme primitive de langage chez un petit singe est fascinante, elle est surtout d’une importance majeure dans la recherche sur les origines du langage humain.
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Lire la suiteEn effet, l’humain est le seul être vivant à posséder une forme de communication orale aussi complexe, qui nous a notamment permis de transmettre de nombreuses informations de toutes sortes, favorisant ainsi l’émergence de civilisations. L’une des hypothèses les plus répandues quant à l’évolution de cette faculté exceptionnelle repose sur l’observation de la communication intentionnelle chez les grands singes. Celle-ci s’appuie principalement sur la gestuelle, leurs cris exprimant seulement des émotions telles que la colère ou la peur. Ces observations suggèrent donc que notre mode de communication actuel aurait évolué depuis de simples gestes signifiants vers un langage oral. Ainsi, la découverte d’une communication orale flexible et structurée chez le mone de Campbell vient remettre en question cette théorie. Qui sait, d’ici quelques années, les descendants des mones de Campbell seront capables de conter des poèmes aussi fins que ceux d’Hugo : « Demain dès l’aube, à l’heure où les prédateurs rodent, Je parlerai. Vois-tu, je sais que tu m’entends. »

L’escroc du désert Les mones de Campbell ne sont pas les seuls à communiquer avec leurs congénères pour éviter les dangers. Tout comme eux, les suricates utilisent des cris spécifiques selon l’origine terrestre ou aérienne d’un prédateur. Ces petits mammifères passent près de huit heures par jour la tête dans le sable à chercher de petites proies à dévorer. Durant ce banquet, des suricates sentinelles sont chargés de surveiller les alentours. Dès lors que l’ombre d’un aigle pointe le bout de son bec, un cri d’alarme se fait entendre et tous les mangeurs filent dans leurs terriers. Ce petit manège-là, les drongos brillants l’ont bien compris et ont décidé de mettre leurs talents d’imitation à profit. Ces oiseaux noirs, incapables de creuser des trous dans le sable pour y trouver des insectes, ont développé une stratégie bien rodée pour se nourrir sans effort. Dans un premier temps, les drongos vont tenter de gagner la confiance des suricates en imitant le cri des sentinelles et ainsi les prévenir de la présence d’un aigle. Une fois les suricates dans leur poche, lorsqu’ils sont en appétit, ces oiseaux rusés font retentir le cri d’alerte en absence de prédateur. Les petits chasseurs, pensant à une attaque d’aigle imminente, fuient se mettre à l’abri de leur terrier, en abandonnant derrière eux leur butin nourricier. Les drongos n’ont plus qu’à se servir ! Comme quoi, l’imitation n’est pas qu’un talent du singe. |
Lucie Terral
Sources :
Flower, T. P., Gribble, M., & Ridley, A. R. (2014). Deception by Flexible Alarm Mimicry in an African Bird. Science, 344(6183), 513‑516. https://doi.org/10.1126/science.1249723
Manser, M. B. (1999). Response of foraging group members to sentinel calls in suricates, Suricata suricatta. Proceedings of the Royal Society of London. Series B : Biological Sciences, 266(1423), 1013‑1019. https://doi.org/10.1098/rspb.1999.0737
Ouattara, K., Lemasson, A., & Zuberbühler, K. (2009). Campbell’s Monkeys Use Affixation to Alter Call Meaning. PLoS ONE, 4(11), e7808. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0007808