Romains, Égyptiens, Macédoniens et autres Grecs …

Stèle représentant Cléopâtre et Isis Stèle représentant Cléopâtre et Isis/ Auteur inconnu/https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cleopatra_Isis_Louvre_E27113.jpg

La civilisation hellénistique s’est étendue bien au-delà de la Grèce antique : de la mer Égée jusqu’à l’Indus, d’Alexandre le Grand à Cléopâtre… et plus loin encore ? 


Hellénistique : du grec ancien Ἕλλην (Héllène), mot par lequel les Grecs se désignaient eux-mêmes, opposé aux « barbares », littéralement « qui ne parlent pas grec ».


Vous connaissez sûrement la Grèce d’Athènes et de Sparte dans leur période dite « classique » des Vᵉ et IVᵉ siècles avant notre ère. Démocratie et philosophie y seraient nées entre deux résistances à l’invasion perse, nourries de liberté et de raison… Cet âge d’or mythique fut immortalisé par des écrits d’auteurs plus tard sacralisés. Pourtant, si certaines de ces œuvres nous sont parvenues, c’est en partie parce que la Grèce a perdu de sa puissance et de son indépendance.

Commerce et colonisation, une combinaison pas forcément gagnante

Les Grecs ne sont pas les premiers à s’être projetés sur le pourtour méditerranéen. Les Phéniciens, originaires de l’actuel Liban, ont ainsi entamé une expansion dès le premier millénaire avant notre ère, amenant leur commerce, leur langue et leur culture jusque dans l’actuel Maghreb. Au VIIIe siècle avant notre ère, la Phénicie fut conquise par les Assyriens, « premier empire universel connu » (d’après l’historienne J. Elayi) et le lien fut brisé avec les colonies telles que Carthage.

Les cités-États grecques suivirent la même voie et des marchands-aventuriers partis de la mer Egée fondèrent des colonies marchandes sur les principales routes commerciales de Méditerranée. De la Crimée jusqu’en Espagne, en passant par la Libye, l’Asie Mineure ou la Gaule — on pense à Marseille, colonie fondée à l’entrée de la riche vallée du Rhône, la majeure partie du littoral de mer Noire et de Méditerranée appartenait désormais au monde grec, l’œkoumène. Comme la phénicienne en son temps, la culture et la langue grecques devinrent des outils de communication transculturels. Au fil de l’implantation de nouvelles colonies, des syncrétismes avec les cultures indigènes s’opérèrent, comme chez les Étrusques ou les Macédoniens. Des territoires entiers furent ainsi assimilés à l’œkoumène, notamment la Sicile et le sud de l’Italie, désormais appelée « Grande Grèce ».

Alexandre et autres conquérants conquis

Comment la civilisation grecque survécut-elle là où la civilisation phénicienne avait échoué ? Après tout, la Grèce fut prise et reprise par maints envahisseurs. Le fait est que, à la différence des Phéniciens, les Grecs furent défaits par leurs admirateurs.

La victoire, en 404 BCE, de Philippe II du petit royaume de Macédoine contre les cités grecques coalisées est ainsi considérée comme le début de la période hellénistique. Le fils de Philippe, Alexandre le Grand, marcha sur les traces de son père et, en abattant l’Empire perse, fonda le premier empire centralisé de culture grecque, de l’Indus à l’Égypte. Tout en s’inscrivant dans la légende par ses conquêtes, Alexandre créa une nouvelle classe d’élites gréco-macédoniennes qui, trois siècles durant, gouverna l’Orient en langue grecque.

Les généraux successeurs d’Alexandre, les Diadoques, se battirent pour l’empire qu’ils divisèrent finalement en plusieurs royaumes, réorganisant ainsi à leur profit le monde oriental. Le plus stable de ces royaumes hellénistiques fut l’Égypte, conquise par le général macédonien Ptolémée, qui y établit une dynastie dont Cléopâtre sera la dernière représentante. La mort, en 30 BCE, de cette dernière est d’ailleurs considérée comme la fin de la période hellénistique et le début de la domination romaine.

Le triomphe de Rome marqua-t-il pour autant la fin de la civilisation grecque ? Lorsqu’elle n’était encore qu’un village marécageux, Rome était en effet entourée de grandes cités de culture grecque avec lesquelles elle partageait bien plus qu’une mythologie. La conquête romaine de la Grèce continentale en 146 BCE ne fit qu’augmenter les liens entre les mondes latin et hellénistique. Pour l’aristocratie romaine, dont les précepteurs étaient souvent grecs, la langue grecque était la langue noble — comme le sera le latin au Moyen-Âge. César se serait ainsi effondré en criant à Brutus non pas Tu quoque mi fili, mais plutôt Καὶ σὺ τέκνον ( à lire Kaï sou teknone) !


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De l’Iran à l’Espagne, on retrouve aujourd’hui de nombreuses traces de la culture hellénistique, mais cela est-il suffisant pour parler de civilisation ? Si le grec fut la langue du commerce, de l’enseignement et de la culture, la densité de peuplement de ses locuteurs ne fut jamais importante en dehors de la Grèce classique. La civilisation hellénistique était avant tout une civilisation des élites. En dehors des grandes villes, la culture grecque était peu présente et il fallut attendre la conquête romaine pour que les administrations et cultures indigènes soient réellement remaniées. Malgré tout, le fait est que, jusqu’à la chute de l’Empire romain, un voyageur de culture grecque arrivait à trouver ses marques dans la plupart des capitales provinciales.

Arthur Amiel

Sources :

J. Elayi, L’Empire assyrien, Perrin, 2021.

Paul GOUKOWSKY, « HELLÉNISTIQUE CIVILISATION », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 19 mars 2021. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/civilisation-hellenistique/

Xavier LAPRAY, « CONQUÊTE DE LA GRÈCE PAR ROME – (repères chronologiques) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 19 mars 2021. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/conquete-de-la-grece-par-rome-reperes-chronologiques/

Peter GREEN, « Alexander to Actium » ,University of California Press, Berkeley and Los Angeles, 1990.