La mémoire collective émerge des souvenirs individuels, mais n’en est pas la somme. Elle s’inscrit pourtant durablement dans la mémoire des individus, au point de créer un modèle mental partagé.
Il y a un siècle, le sociologue français Maurice Halbwachs émettait l’hypothèse selon laquelle les souvenirs individuels sont influencés, voire reconstruits par leurs environnements sociaux. Tout groupe organisé créerait ainsi une mémoire qui lui est propre, conservée dans la mémoire individuelle de ses membres. Mais jusqu’à présent, les sciences cognitives s’attachaient à mettre en évidence les mécanismes individuels influençant la mémoire collective. Un programme de recherche mené par l’INSERM et le CNRS est venu renverser cette approche avec une étude publiée dans Nature Human Behavior fin 2019.
D’abord, les chercheurs ont constitué un corpus représentatif de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale dans les médias depuis 1980. Ensuite, ils ont demandé à des visiteurs du Mémorial de Caen de visionner des images et des légendes issues de ce corpus, ou de leur visite, en étudiant les réactions de leur cerveau par IRM.
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L’objectif de l’expérience était de déterminer le degré de proximité entre les souvenirs, et ainsi de différencier les souvenirs « personnels » des « collectifs » . Les conclusions de l’étude montrent que « la mémoire collective, qui existe en dehors et au-delà des individus, peut également organiser les souvenirs individuels et constitue un modèle mental commun qui relie les souvenirs des gens à travers le temps et l’espace. »
En clair, lorsqu’un souvenir issu de la mémoire collective est activé, il entraîne l’activation d’une région plus vaste du cerveau, comme si un ensemble cohérent revenait à l’esprit des volontaires. Cet ensemble se situe dans le cortex préfrontal médian, une région du cerveau liée à la cognition sociale. Les données suggèrent aussi qu’à chaque activation de cet ensemble mémoriel, la mémoire collective se réactualise en y intégrant de nouvelles expériences personnelles. Il existe d’ailleurs une forte corrélation entre âge et alignement sur la mémoire collective.
La mémoire collective existe en tant que structure neurologique
En cas de recherche d’information, c’est aussi cet ensemble qui sera réactivé plutôt que des connaissances spécifiques individuelles. Ce schéma collectif, en créant un cadre commun pour communiquer, souligne la fonction sociale de la mémoire. La capacité à comprendre un point de vue collectif facilite en effet le partage d’une expérience commune au sein d’une société donnée.
La mémoire collective existe donc en tant que structure neurologique. Elle est un modèle d’organisation des représentations sociales du passé, dans lequel s’insère la mémoire individuelle au fil du temps. Ces représentations collectives sont sélectionnées en fonction de modèles narratifs qui définissent l’identité du groupe. En cela, la mémoire collective est différente de la mémoire historique, et n’est pas nécessairement corrélée à la proximité géographique ou à la quantité d’individus concernés par un évènement. Seules les représentations véhiculant un sens fort sont conservées dans les objets socioculturels et les actes de communication. Ces deux éléments sont les pierres angulaires de la construction de toute mémoire collective, qui s’incarnera dans le cerveau des individus partageant une identité commune.
Arthur Amiel
Sources :
https://lejournal.cnrs.fr/articles/comment-se-construit-la-memoire-collective