Mémoriser la peur, du souvenir au traumatisme

© Toa Heftiba

Pourquoi certaines personnes ayant vécu un traumatisme souffrent-elles de stress post-traumatique, alors que d’autres ne développent jamais ce trouble ?

Le souvenir d’un événement n’est pas fixe au cours du temps. À chaque remémoration, il se transforme et perd de sa force évocatrice. Ce phénomène dit d’atténuation est une sorte de mise à jour de la mémoire qui lui permet entre autres d’oublier les souvenirs désagréables. Cependant, chez les personnes atteintes de troubles du stress post-traumatique (TPST), l’atténuation n’intervient pas lorsqu’elles se remémorent un souvenir douloureux. Le rappel est aussi vivace que l’expérience initiale, et ne peut pas être refoulé. Neurologiquement, le signal issu des zones du contrôle de la mémoire censé interrompre la remémoration n’arrive pas jusqu’à la mémoire émotionnelle. Cette incapacité à l’inhibition dépasse les souvenirs traumatiques, et les personnes atteintes de TSPT montrent souvent des difficultés à supprimer des pensées non désirées dans les situations de la vie courante.

Les TSPT, c’est quoi ?Quel est le trajet du souvenir traumatique dans le cerveau ?
Les troubles du stress post-traumatique (TSPT ou PTSD en anglais) sont des troubles psychiatriques qui surviennent chez des personnes témoins, victimes ou affectées indirectement par un événement marquant comme une menace de mort imminente, ou une atteinte à l’intégrité physique ou morale.

Plusieurs symptômes peuvent apparaître, avec une intensité variable : des images intrusives, évitements, troubles sociaux et troubles de l’humeur (hypervigilance, irritabilité, difficultés de concentration).
Le mécanisme de mémoire de peur est notamment régi par trois structures cérébrales interconnectées entre elles :

• L’amygdale, siège de la mémoire émotionnelle, suractivée chez les patients atteints de TSPT.

• L’hippocampe, siège de la mémoire déclarative,c’est-à-dire restituable verbalement, sous-activée chez les patients atteints de TSPT.

• Le cortex préfrontal, qui joue un rôle dans l’acquisition et l’extinction de la mémoire de peur.
Source: https://www.maad-digital.fr/en-bref/impact-de-lalcool-sur-le-mecanisme-du-stress-post-traumatique
« Le trajet de la peur dans le cerveau » – image de MAAD Digital

Pourtant les victimes d’événements traumatiques ne développent pas toutes de TSPT. La plupart vont guérir dans le mois suivant l’événement, mais environ 20 % vont développer une forme chronique. La clé de cette différence se trouve dans le circuit cérébral de mémorisation de la peur. Si l’événement est trop fort émotionnellement et trop incompréhensible, l’hippocampe et le cortex préfrontal n’envoient pas de signal d’arrêt à l’amygdale, qui produit des hormones de stress jusqu’à des doses potentiellement toxiques. Devant ce « survoltage » du système, l’amygdale est déconnectée de l’hippocampe, et l’état de stress disparaît brutalement. C’est ce que les psychiatres appellent un état de sidération traumatique. Il peut perdurer aussi longtemps que le danger n’est pas perçu comme écarté.

La mémoire traumatique est donc un souvenir « piégé », qui ne peut plus être remodelé ou inhibé. Le cerveau ne considère pas l’événement comme résolu, et devient hypersensible aux stimuli qui le lui rappellent. Mais l’impact de l’événement peut affecter l’ensemble du cerveau : chez les personnes atteintes de TSPT, le volume de l’hippocampe est réduit de 30 % en moyenne, conséquence potentielle de l’intense décharge hormonale. La rupture de connexion entre la mémoire émotionnelle et la mémoire déclarative peut donc se pérenniser (voir encadré), affectant la vie quotidienne.

Aujourd’hui, si les mécanismes à l’œuvre ne sont pas encore bien identifiés, la curabilité des TSPT et la réversibilité de leurs conséquences neurologiques, elles, le sont.

Depuis quand connaît-on les TSPT ?Qui peut-être atteint de TSPT ?
Pendant des millénaires, les sociétés humaines ont constaté que certains soldats semblaient ne jamais quitter le champ de bataille, comme hantés par des fantômes.

Les premières descriptions de symptômes s’apparentant au TSPT ont été retrouvées sur des tablettes mésopotamiennes vieilles de plus de 5000 ans. De la Grèce Antique au théâtre Shakespearien, le « mal du soldat » était bien connu de nos ancêtres.

Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que les médecins commencent à s’y intéresser, et qu’ils comprennent son origine neurologique.
Longtemps, les TSPT ont été assimilés à une « faiblesse d’esprit ». Pour les femmes, ils étaient inclus dans la notion d’« hystérie ».

C’est le neurologue français Jean-Martin Charcot qui identifia le premier, en 1880, la similarité des symptômes, et leur origine traumatique.

Mais lorsque vint la Première Guerre mondiale, la stabilité psychologique était toujours synonyme de masculinité et de force morale. Ce n’est qu’après la guerre du Vietnam que le TSPT fit son entrée dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM).

Depuis, la notion ne cesse de s’élargir, et rassemble aujourd’hui les victimes ou témoins d’épidémies, de catastrophes naturelles, d’agressions sexuelles ou de racisme.

Arthur Amiel

Sources