Le dialogue de la lumière et des neurones

Une perte de temps selon certains, l’antichambre de la mort selon d’autres. Déifié dans la Grèce antique, transformé en instrument psychanalytique au XXe siècle, le sommeil est une composante fondamentale de notre existence. Et c’est un phénomène essentiellement cérébral.

 

Le prix Nobel de médecine 2017 a été attribué aux trois chercheurs qui ont étudié les bases génétiques des rythmes circadiens. Ils ont découvert comment, au niveau cellulaire, les plantes, les animaux et les êtres humains, adaptent leur rythme de vie à la rotation terrestre. Dans chaque cellule de l’organisme, des protéines s’accumulent le jour et sont détruites la nuit. Cette périodicité détermine la variation de certaines fonctions physiologiques en fonction de l’environnement, en particulier de la présence ou non de la lumière. Tout repose sur un équilibre délicat de concentrations hormonales, qui varient selon l’heure.

Au rythme du monde extérieur 

Ce parfait et silencieux orchestre trouve son point de départ dans la rétine. Ce sont les yeux qui indiquent au reste du corps la quantité de lumière extérieure. Ils le font à travers des cellules qui s’activent avec l’obscurité. Une fois activées, elles communiquent avec un groupe de neurones à l’intérieur de l’hypothalamus (une structure du cerveau située entre les deux hémisphères cérébrales) : le noyau suprachiasmatique. Il est le centre de contrôle des rythmes veille/sommeil. De là, part le signal directement vers la glande pinéale. Elle libère une hormone, la mélatonine, et les jeux sont faits. Cette hormone circule dans le sang et atteint les cellules du système nerveux afin de les prévenir qu’il est l’heure d’aller se coucher. À travers cette protéine, la température corporelle et le métabolisme cellulaire sont contrôlés, et le sommeil est induit.  

             

 Neurones à l’unisson 

Après un état de demi-sommeil, nous glissons vers la première phase de l’assoupissement, dans laquelle la température corporelle baisse, le rythme cardiaque et le métabolisme ralentissent. Au niveau cérébral, les neurones… se synchronisent. C’est ce que mettent en évidence les ondes d’un électroencéphalogramme (EEG). Durant le jour, les neurones réagissent aux stimuli du monde extérieur et s’activent de manière asynchrone. L’addition de toutes les activités électriques chaotiques dans le cerveau génère un signal de petites ondes à haute fréquence. 

En revanche, pendant le sommeil, les ondes cérébrales deviennent plus amples et, au fur et à mesure que nous dormons profondément, la fréquence diminue. Les neurones émettent des signaux à l’unisson. Après la première phase, suivent les phases deux et trois, au cours desquelles les phénomènes décrits précédemment s’accentuent. La phase quatre est l’étape où les ondes sont plus lentes et plus amples, et prennent le nom d’ondes delta. Dans leur ensemble, les quatre phases sont connues comme phases non-REM, pendant lesquelles le cerveau est presque inactif. Elles durent à peu près une heure, suivies par 10 minutes de sommeil REM.

REM (pour rapid eye movement) est considéré comme une condition dans laquelle le corps est complètement inactif (sauf pour les mouvements rapides des yeux), et le cerveau actif. C’est ici que les rêves commencent et le sommeil devient encore plus mystérieux : l’EEG pendant la phase REM ressemble à celui d’un individu éveillé. 

Toutes les phases (non-REM et REM) constituent ensemble un cycle du sommeil. Au cours d’une nuit, s’enchaînent plusieurs cycles, variant de sept à neuf heures.

Pourquoi le sommeil est essentiel ?

Les scientifiques n’ont pas de réponse pour le moment, mais plusieurs hypothèses ont été formulées. Les études effectuées dans les années 70 et 80 sur les rongeurs, ont démontré que pendant le sommeil, il se déroule une accélération de la transcription génétique, la première étape permettant la production des protéines à partir de l’ADN. Au niveau cérébral, l’augmentation de la production des protéines a été associée, chez la souris et chez l’homme, à un renforcement des synapses. Pendant la nuit, les connexions qui se sont formées entre les neurones durant la journée deviennent plus fortes. Le phénomène a été étudié principalement au niveau du cortex et de l’hippocampe, les structures consacrées à la mémoire. D’où la théorie que le sommeil permet de consolider les souvenirs.

En contradiction (au moins apparente) avec ces études, ont été publiées en 2017, deux recherches dans la revue Science. Les chercheurs observent un affaiblissement de certaines synapses pendant la nuit. Le phénomène est lié à l’activité de la protéine Homer 1, qui s’accumule dans les neurones pendant le jour, et est libérée durant la nuit au niveau des synapses, où elle en réduit la taille. Selon ces études, le sommeil pourrait servir à oublier des informations : cela permettrait de libérer de la « place » pour créer d’autres souvenirs le jour suivant.

Peut-être que le fait que le sommeil joue un rôle essentiel dans la formation de la mémoire, est déterminé par une balance entre les deux mécanismes : renforcement et affaiblissement des synapses.

En 2013, une équipe américaine a proposé une nouvelle fonction du sommeil. Nettoyer les synapses des déchets du métabolisme neuronal qui s’accumulent pendant la journée. L’étude publiée dans Science, décrit une augmentation du volume de l’espace entre les cellules neuronales (espace interstitiel) chez la souris. Cette observation est corrélée à un intense échange de matériel entre le liquide interstitiel et le liquide cérébro-spinal, le fluide produit par les ventricules, et présent entre les méninges. Le système de fluides pourrait permettre l’enlèvement des molécules toxiques au niveau des synapses. Parmi ces dernières figurent la β-amyloïde, l’α-synuclein, et tau, trois protéines associées à l’apparition de maladies neuro dégénératives. Les chercheurs n’excluent donc pas un lien entre les troubles du sommeil et la maladie d’Alzheimer par exemple.

Si on ne sait pas encore exactement comment le sommeil marche, pourquoi le cerveau rêve, il est évident que le sommeil est une activitè indispensable à la vie des vertébrés.