Dans le sinistre contexte de la Seconde Guerre mondiale, les frontières du champ de bataille furent redessinées. Pour parvenir à la victoire que nous connaissons, le travail persévérant et sans trêve des civils mobilisés à l’arrière a été essentiel. Pourtant, l’histoire de beaucoup d’entre eux a été volontairement plongée dans l’ignorance sous le sceau du Official Secret Act. En particulier, l’expérience vécue par les extraordinaires femmes cryptanalystes de Bletchley Park.
À 70 kilomètres de Londres, le manoir Bletchley Park réunissait, de 1939 à 1945, les esprits les plus brillants du pays pour le compte des renseignements top-secret GC&CS (Government Code and Cypher School). Mathématiciens, linguistes, déchiffreurs, professeurs et spécialistes en casse-têtes étaient recrutés soit par recommandation, soit repérés grâce à leur renommée internationale, ou sélectionnés par le biais d’un concours de mots croisés lancé dans le Daily Telegraph. Quand le groupe d’Alan Turing est venu à bout des premiers codes de la réputée inviolable machine allemande Enigma, la guerre prit un tournant décisif et les cryptanalystes s’employèrent à déchiffrer chaque communication militaire de l’Axe. Comme 75 % des opérateurs étaient des femmes (soit environ 6 700 employées), la plupart d’entre elles étaient chargées d’utiliser les appareils de décryptage (téléscripteurs, machines d’encodage, etc.). Chaque jour, ces « casseuses de code » notaient la combinaison possible tirée des surpuissantes machines Bombe et Colossus, puis vérifiaient qu’elle permettait bien de déchiffrer les messages d’Enigma du jour. Si cette dernière ne révélait pas la teneur des messages, elles relançaient alors les machines jusqu’à obtenir un résultat concluant. Les résolutions prenaient entre une journée et plusieurs semaines en fonction de l’importance de l’information cryptée. De surcroît, les bulletins qu’elles décodaient pouvaient impacter des décisions de guerre déterminantes. Par exemple, le décryptage de Joan Joslin a localisé le stratégique croiseur de bataille allemand Scharnhorst offrant l’opportunité à la Royal Navy de le couler le 26 décembre 1943.
Une fois la paix déclarée en 1945, le gouvernement interdit radicalement à quiconque de faire allusion à leur activité au sein du domaine, même à leurs proches, jusqu’à leur mort. Il aura fallu attendre 1974, une fois l’existence de la GC&CS révélée, pour que ces héroïnes puissent sortir du secret et raconter leur histoire inouïe. Aujourd’hui encore, leurs témoignages continuent d’être rassemblés afin que leurs récits perdurent et soient entendus de tous.
En somme, les efforts assidus de ces cryptanalystes sauva des millions de vies. Animées d’une conscience collective, des situations condamnées ont pu être renversées et le conflit fut écourté de deux années.
Margaux Abello
Photo : Dorothy Du Boisson (gauche) et Elsie Bookerdeux (droite), deux Wrens (Women’s Royal Naval Service) travaillant sur le Colossus Mark 2 à Bletchley Park, Angleterre. Crédits: Crown.
Références :
Ces femmes qui décryptaient des codes à Bletchley Park
Bletchley Park Podcast 65: Women at War
Bletchley Park Podcast 44: Bombe Girls
Meet the female codebreakers of Bletchley Park
Le double héritage de Bletchley Park
A Bletchley Park, l’histoire secrète de l’invention de l’informatique
L’histoire vraie qui a inspiré Enquêtes codées
The WWII code-cracker who kept her secret for more than 60 years
Filmed Interview: The Women of Bletchley Park
Émission radio – Enigma, la guerre du code