Concert préhistorique : les instruments du passé

Flûte et sifflet en os, rhombe et racleur en bois de renne. Flûte et sifflet en os, rhombe et racleur en bois de renne. BastienM, CC-BY-SA. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Musical_instruments_of_prehistory.jpg

De nos jours, les archéologues ont pu mettre la main sur de nombreux instruments datant du paléolithique. Mais face à des objets qui ne nous disent pas tout, l’étude de la musique préhistorique reste encore délicate.

Toutes les sociétés humaines, malgré les gouffres culturels qui parfois les séparent, partagent certains traits, quelques caractéristiques essentielles ou, comme les anthropologues les désignent, des universels anthropologiques. La musique fait partie de ces éléments qui ne semblent manquer à aucune civilisation, et ce tout au long de leurs histoires. Si l’on suppose désormais que le chant était pratiqué avant même l’apparition de la parole, il a fallu attendre que nos lointains ancêtres nous laissent des traces et des objets que nous avons pu retrouver et étudier pour comprendre leurs comportements musicaux. Dans ce but, des techniques de différentes disciplines sont mobilisées. D’une part l’archéologie, chargée de découvrir les instruments du passé et d’en expliquer l’utilisation. D’autre part, l’ethnomusicologie, qui examine les liens entre la musique et la société qui la produit, et qui aide à comprendre la musique des anciens chasseurs-cueilleurs en explorant les pratiques musicales de ces quelques tribus qui persistent toujours aujourd’hui. Ou encore l’archéoacoustique, qui se donne pour mission de recréer le contexte sonore des temps anciens, en analysant l’acoustique des objets et des lieux, en reproduisant les instruments préhistoriques et en expérimentant les techniques de jeu supposées.

Rhombes, lithophones, sifflets : les étonnants instruments du paléolithique

Mais de quoi jouaient donc les musiciens de la préhistoire ? Le plus vieil instrument retrouvé à ce jour est une flûte en os de cygne, excavée dans le sud de l’Allemagne et datant de plus de 40 000 ans. D’autres flûtes en os ou en ivoire ont été mises au jour un peu partout dans le monde, de l’Europe à la Chine en passant par la Turquie ou le Sahara, laissant penser que la confection d’objets musicaux est apparue dans plusieurs foyers de façon indépendante. Des sifflets en os, dits aussi phalanges sifflantes et qui auraient pu former la version primitive des flûtes, ont également été retrouvés. Ces phalanges de rennes percées permettaient déjà une variété de sons impressionnante pour de simples sifflets. Des études formulent l’hypothèse qu’avant même que les hommes du paléolithique n’en fabriquent, ils auraient pu en découvrir sur des cadavres de rennes tués par des loups. En effet, en mordant à la patte ces animaux, les prédateurs peuvent perforer la phalange, naturellement creuse, créant parfois des sifflets qui auraient ensuite été améliorés par la main humaine.

Les premiers hommes semblent avoir d’abord utilisé les objets de leur environnement pour produire du son, avant d’en fabriquer. Certains gros coquillages comme des conques auraient servi de cors. Des archéologues ont aussi découvert dans des grottes des traces d’usure ou de casse sur certaines formations rocheuses naturelles pouvant avoir certaines propriétés acoustiques intéressantes, et qui suggèrent une utilisation musicale. Par la suite, les habitants du paléolithique ont vraisemblablement rassemblé des pierres pour créer des lithophones, des instruments à percussion dont les composants nous sont parvenus. Parmi les autres instruments étonnants qui ont été découverts, on peut citer le rhombe, un fin morceau d’os, long en général de quelques dizaines de centimètres produisant un drôle de son lorsqu’on le fait tourner en l’air au bout d’une cordelette. Il rappelle selon certains le bruit du vent ou de la foudre. Évoquons aussi les racleurs, en os ou peut-être en bois, des objets dont la surface a été taillée de sorte à présenter des aspérités pour produire du son une fois frottés.

Malheureusement, depuis les quelques milliers d’années qui nous séparent du paléolithique, peu d’instruments ont pu nous parvenir, et seuls ceux constitués d’os ou de pierre ont pu se conserver si longtemps. Or, on imagine bien que d’autres matières, périssables, ont dû être utilisées pour d’autres types d’instruments. Notre vision reste donc très partielle, et les chercheurs estiment que les musiciens du passé ont su se montrer très inventifs : percussions en peau, instruments à vent en écorce de bouleau, sifflets de brindille ou arcs, dont l’unique corde est frappée alors que la bouche sert de caisse de résonance et permet de moduler le son.

La délicate interprétation des artefacts

Cependant, l’étude de la musique préhistorique est ponctuée d’embûches. Au delà de la vision restreinte que nous offrent les quelques instruments préservés par le temps, il reste la difficulté à bien estimer l’utilisation des objets dégagés : les rhombes servaient-ils en réalité d’armes de jet pour la chasse, ou bien auraient-ils été employés pour ces deux fonctions ? De même pour les sifflets, qui auraient d’abord pu servir à communiquer pendant la chasse ou en tant qu’appeaux. Ainsi, plusieurs de ces objets paléolithiques auraient pu remplir différents usages en fonction des situations, et ne constitueraient pas seulement des instruments de musique. Un autre problème consiste à savoir quel rôle pouvait jouer la musique dans les sociétés primitives. L’une des pistes pour répondre à cela consiste à observer les quelques communautés de chasseurs-cueilleurs qui existent encore. De cette manière, les spécialistes formulent plusieurs hypothèses : d’une part, la musique devait jouer un rôle dans les cérémonies et les pratiques chamaniques, en tant qu’outil capable d’influencer le monde et les hommes. Mais on imagine que jouer ou écouter de ces instruments pouvait, simplement, divertir les hommes de cette époque. Cette musique, qui nous paraît si lointaine et étrangère, devait déjà être appréciée comme c’est encore le cas aujourd’hui.

Edwyn Guérineau

Sources :

BBC, « Earliest music instruments found – BBC News », BBC, 25 mai 2012. https://www.bbc.com/news/science-environment-18196349 (consulté le 26 oct. 2020).

F. Belnet, « Les premiers musiciens à la préhistoire – Hominidés », Hominidés, 24 nov. 2012. https://www.hominides.com/html/references/les-premiers-musiciens-prehistoire-0686.php (consulté le 26 oct. 2020).

M. Dauvois, « Homo musicus palaeolithicus et Palaeoacustica », Munibe Antropologia-Arkeologiaopen, no 57, p. 225‑241, 2005.

D. Morello, « Quand l’homme de cro-magnon jouait de la flûte – PARLONS SCIENCES – Museum », Muséum Toulouse, avr. 05, 2013. https://www.museum.toulouse.fr/-/quand-l-homme-de-cro-magnon-jouait-de-la-flute (consulté le 26 oct. 2020).

C. Regnier, « Musique de la Préhistoire – instruments – Hominidés », Hominidés, 01 févr. 2011. https://www.hominides.com/html/dossiers/musique-prehistoire.php (consulté le 26 oct. 2020).