La spéléologie, c’est-à-dire l’étude, l’exploration et la cartographie des cavités souterraines, naît officiellement au XIXe siècle. L’essor de cette discipline se fait notamment grâce à l’explorateur français Edouard Alfred Martel, qui sera le pionnier de nombreuses découvertes.
Et pourtant, certaines traces d’habitats troglodytes en France sont datées à près de 40 000 ans : c’est le cas de la grotte Chauvet en Ardèche, ou de la non moins célèbre grotte de Lascaux en Dordogne. Les deux derniers siècles voient ainsi se moderniser les outils utilisés par les aventuriers des profondeurs, et même émerger une nouvelle forme de tourisme. Focus sur les merveilles cachées sous nos pieds.
Martel, père de la spéléologie moderne
Né en 1859, Edouard Alfred Martel découvre à l’âge de 7 ans les gravures et peintures rupestres des grottes de Gargas, dans les Pyrénées. Adolescent, le jeune homme est un grand lecteur de Jules Verne et se passionne pour la géologie, l’alpinisme et l’exploration souterraine. Il réalise jusqu’en 1979 une trentaine d’expéditions en France, mais également en Allemagne, en Autriche et en Italie. Il s’intéresse au début des années 1980 à la région des Causses du Quercy et à celles des Cévennes, dans laquelle il réalise sa première exploration en 1888. Le spéléologue commence alors sa carrière.
En reconnaissant près de deux kilomètres de galeries avec ses compagnons, Martel expérimente son matériel : l’osgood, un canot démontable et léger de fabrication américaine, lui permet de traverser les cours d’eau souterrains et leurs nombreux pièges sans s’encombrer. La souplesse de cette embarcation de deux mètres de long est un atout considérable dans les passages étroits. Des échelles pliables et des cordes plus classiques servent à se hisser sur les corniches et assurer le passage des hommes et du matériel. Enfin, l’éclairage réalisé d’abord à l’aide de lanternes, puis des premières lampes à magnésium donne à voir les concrétions, ces formations rocheuses qui inspirent Martel pour l’écriture de ses premiers rapports d’expédition.
Pour notre aventurier, les expéditions s’enchaînent : près de 230 en 5 ans. Parmi elles, le Gouffre de Padirac avec son immense réseau souterrain dans lequel il effectue sa première descente en juillet 1889, va l’occuper pendant de nombreux mois. En marge de l’exploration, Martel se charge d’acheter les terres surplombant les galeries. Car un nouveau projet l’occupe : rendre le Gouffre accessible au grand public pour en faire un lieu de tourisme. La société anonyme du Gouffre de Padirac voit ainsi le jour en 1898, et avec elle commencent les travaux d’aménagement : un grand escalier de fer pour descendre au fond du puits, un embarcadère le long de la rivière souterraine et même… un restaurant panoramique ! L’année suivante, l’attraction ouvre ses portes et accueille déjà des milliers de visiteurs.
En marge des 1 500 campagnes spéléologiques menées par Martel jusqu’à son décès en 1938, l’explorateur est également un auteur compulsif avec 18 livres et près de 900 articles publiés sur ses découvertes. Il étudie notamment les cours d’eaux en utilisant des outils scientifiques comme les marqueurs colorés (fluorescéine). Ses rapports sur le rôle des eaux souterraines dans la propagation des maladies épidémiques aboutissent ainsi à une prise de conscience des pouvoirs publics et, en 1902, à une loi interdisant de jeter cadavres et détritus putrescibles dans les excavations. C’est enfin lui qui fonde la Société française de spéléologie et la revue Spelunca, qui publie encore aujourd’hui deux numéros chaque année.

La technologie au service des spéléologues
Des premiers explorateurs des souterrains à nos contemporains, les avancées techniques ont évolué pour s’adapter aux contraintes de ces défis scientifiques et humains. Les torches, peu utiles à cause de l’humidité ambiante et de la faible teneur en oxygène, ont progressivement cédé la place aux lanternes à combustible liquide (tels que l’huile et le pétrole), puis solide comme pour les lampes à magnésium et enfin à gaz. Ainsi, la lampe à acétylène qui voit le jour à la fin du XIXe siècle reste encore utilisée de nos jours, bien que largement concurrencée par l’éclairage électrique.
En parallèle, les sciences des matériaux ont constitué la clé de voûte d’une nouvelle spéléologie plus sécurisée et confortable. Leur apport : des tenues légères, isolantes de l’eau et du froid et des systèmes d’attaches résistants. C’est également le cas des systèmes de communications : les systèmes filaires auto-générateurs (ou « généphone »), ont aujourd’hui laissé leur place à des appareils sur batterie et utilisables sur des distances de plusieurs kilomètres. En utilisant des technologies alternatives comme la transmission par le sol (systèmes Nicola, Fauchez ou Tedra), il est également possible de communiquer sur des distances plus courtes, mais en se passant de connexion physique. Ces équipements sont très utiles lors de liaison avec la surface, le signal pouvant être établi à travers plusieurs centaines de mètres de roche.
Pour les scientifiques, le défi à venir est l’adaptation des drones aux conditions d’exploration des grottes. Bien que des études soient en cours, les problématiques de contrôle à distance et de robustesse des modèles restent des freins au développement d’appareils fiables.

Le tourisme souterrain : voyage au centre de la Terre
Lors de l’exposition universelle de 1900, le public découvre avec ébahissement
une reproduction de grotte remplie de stalactites, alors que plusieurs attractions
attirent chaque année des visiteurs curieux. Mais c’est véritablement durant les années 1950, en partie grâce aux premiers reportages télévisés, que le tourisme souterrain se développe. Mais très vite se pose le problème de la fragilité des milieux naturels : en France, la grotte de Lascaux par exemple, ouvre ses portes en 1948 et plus d’un million de
personnes viennent admirer les peintures rupestres jusqu’en 1963. Pour des raisons de conservation, une réplique de la grotte est ensuite construite dans les années 1970, permettant aux spécialistes de limiter la dégradation.
Il existe actuellement de nombreuses destinations à travers le monde qui proposent
de la spéléologie touristique : que l’on souhaite admirer les cristaux géants à Chihuaha au Mexique, plonger le regard dans les 2 200 mètres du gouffre de la grotte Krubera en Georgie ou parcourir une rivière souterraine illuminée de vers luisants à Waitomo en Nouvelle-Zélande, ces paysages minéraux ne manquent pas de poésie. Avec l’avènement du numérique, les outils de visite virtuelle permettent également de toucher un public grandissant et de voyager à des centaines de mètres de profondeur depuis son salon.
Quant au Gouffre de Padirac, l’installation progressive au cours du XXe siècle de chemins balisés, d’éclairages et d’un ascenseur contribue à en faire l’une des principales attractions de tourisme souterrain en France. En 2018, il accueillait près de 470 000 visiteurs.
Melvin Martineau