Stigmatiser pour mieux régner

©Cannabis Culture, Flickr

L’histoire de la guerre contre la drogue est récente. Cette histoire, qui commence au début du XXe siècle, compte nombre de personnages aux intentions politiques menées par la haine, et est étroitement liée à l’oppression injuste de communautés entières.

« Le joint fait croire aux nègres qu’ils sont aussi bons que les blancs ». Ces mots sont ceux du dirigeant du premier bureau national des stupéfiants aux États-Unis dans les années 1930. Imposant ses visions racistes pendant plus de 30 ans, Harry Anslinger aura utilisé la stigmatisation comme arme principale dans sa lutte contre la marijuana. Il l’associe au symbole évocateur de la seringue, pourtant inutile pour sa consommation, et dramatise les conséquences de son usage. « Fumez un joint et vous voilà prêt à tuer votre frère« .  Associant cette vision ultra violente de la plante aux noirs américains, au jazz et au swing, il assure un effet de peur envers cette population. Après plusieurs années de lobbying sans aucun fondement scientifique, il porte le Marijuana Tax Act au Congrès en 1937 et parvient à rendre la plante illégale. Cette mesure aura des répercussions mondiales sur la législation du cannabis. La Convention Unique des Stupéfiants en 1961, où 183 pays de l’ONU s’accordent à considérer cette drogue comme stupéfiant, met un terme radical à l’usage légal de la plante.

Ce cas frappant n’est malheureusement pas unique. Déjà en 1910, c’est à la cocaïne que la communauté noire américaine était associée. Au début du XXème siècle, la lutte contre l’opium vise les communautés asiatiques qui corrompraient la jeunesse américaine par leurs « pratiques jaunes ». En France, les politiques anti-haschich touchaient les communautés arabes alors même qu’elles n’en étaient pas les principaux trafiquants. Au travers d’une maladie fictive, la folie haschich, il n’en fallait pas plus pour attiser les tensions en pleine période de décolonisation. La liste s’étend, mais les États-Unis restent un cas particulièrement symptomatique, par leur influence sur les politiques appliquées dans l’ensemble du monde occidental.

© Tom Simpson / CC BY-NC 2.0

Dès 1968, la stigmatisation y touche les nouveaux ennemis intérieurs. « Le gouvernement Nixon avait deux ennemis :  la gauche anti-guerre du Viet-Nâm et le peuple noir. » confie John Ehrlichman, ancien responsable de la politique intérieure sous Nixon. « Nous ne pouvions pas rendre illégal le fait d’être anti-guerre ou noir, mais en faisant en sorte que l’opinion publique associe les hippies à la marijuana et les noirs à l’héroïne, puis en les criminalisant fortement, nous pouvions perturber ces communautés. Nous pouvions arrêter leurs leaders, perquisitionner leurs maisons, interrompre leurs réunions, et les rabaisser soir après soir aux infos. Est-ce qu’on savait que l’on mentait à propos des drogues ? Bien sûr que oui. » 

Aujourd’hui, même si la révision de certaines législations porte des arguments dont les bases sont plus scientifiques, un regard vers le passé ramène à la vigilance. Ce revirement n’est-il pas causé par une simple évolution des intérêts politiques ? La stigmatisation disparaît-elle réellement avec la législation ? Si l’histoire éclaire le présent, seul le temps apporte le recul nécessaire pour en juger. 

Marion Barbé

Sources

Plantes interdites, Une histoire des plantes politiquement incorrectes, Jean-Michel Groult, éditions Ulmer

https://timeline.com/harry-anslinger-racist-war-on-drugs-prison-industrial-complex-fb5cbc281189

https://blog.francetvinfo.fr/deja-vu/2018/10/19/marijuana-quand-les-etats-unis-interdisaient-lherbe-pour-de-droles-de-raisons.html

https://theconversation.com/la-legalisation-du-cannabis-doit-aussi-prendre-en-compte-son-histoire-coloniale-122237