À la manière d’un logo-rallye, ce texte a été construit en choisissant 15 termes tirés du vocabulaire du mouvement en horlogerie. Ces termes m’ont été donnés toutes les minutes pendant un quart d’heure, avec comme objectif d’arriver à tous les inclure. À vous de voir si vous les retrouverez à la lecture…
En avril, deux quarantaines coup sur coup m’ont coupé les jambes – et tout le reste.
Depuis, mordue par un extérieur qui ne veut pas me lâcher, je suis comme montée sur des ressorts. Je passe des heures à marcher, arpenter, sillonner la ville comme s’il fallait l’imprimer dans la ligne de mes semelles. Je remonte les rues comme une dératée pour humer le béton de chaque ruelle, pour croiser chaque passant, pour chasser chaque rayon de soleil en cavale sur les façades. Aucun monument ne m’échappe, j’ai vidé le barillet et atteint toutes les cibles, de la gare de l’Est au Panthéon, j’oscille entre les pavés, les pistes cyclables et les trottoirs, constamment en extérieur car la brûlure de l’enfermement et de la solitude me hante. J’embraye, je ne veux plus rester chez moi, c’est trop petit chez moi et le monde est trop grand dehors, je veux m’apprendre l’extérieur, qu’on me le montre, je veux me conjuguer dans des frontières floues, me frotter à quelque chose qui n’est plus à l’échelle de mon corps. Toujours dehors, toujours, c’est là que sont les autres, les aimés, les attendus, ceux que je souhaite croiser pour me frotter à leurs peaux, pour tâter de la pulpe du doigt la rugosité de ces gens qui vivent et qui ne sont pas moi. Pour m’apprendre l’autre, pour côtoyer l’ailleurs, je veux être en mouvement partout sauf en intérieur. Mon cœur vibre dans l’air, sa fréquence déréglée, je ne peux que lui courir après. Excitée comme une pile, je me crée des jeux de piste dans toute la ville, je joue à me perdre et je vis si fort de courir à travers la métropole. Je fends la foule en automatique, les kilomètres coulent sur mes jambes comme un lait acide, ils les rendent dures et élastiques et prêtes à poursuivre, mes jambes de quartz sous lesquelles se tricotent mes itinéraires, rive droite, rive gauche, ma sortie en point de mousse pour m’adoucir la mécanique du cœur.
J’aurais marché des marathons dans une ville qui n’est pas si grande que ça, simplement, comme le soleil qui tourne immuablement autour de son cadran, je suis une flamme qui serpente dans ses arrondissements, toujours montée sur roues ou sur ressorts, jamais apaisée, jamais repue, pour toujours mobile car je sais que le temps me course et que c’est lui qui gagnera.
Clara Müller