Rien n’arrête la terrible marche du temps. En véritables marathoniens de la vie, nous passons l’entièreté de notre brève existence à lui courir après. Insaisissable, il nous file entre les doigts, s’écoule, s’enfuit inexorablement pour aller on ne sait trop où. Non content de se dérober toujours à notre emprise, il exerce sur nos jours une implacable dictature : l’heure, c’est l’heure, il est temps, le temps est venu … Personne – ni les flâneurs, ni les rêveurs, ni même les serial retardataires – n’échappe à sa tyrannie. La journée commence, les minutes défilent, le soir tombe, minuit sonne.
Avez-vous déjà pris le temps de vous interroger sur l’essence de cet invisible despote ? En philosophie, le concept d’essence est utilisé pour désigner ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est, ce qui persiste en elle indépendamment des transformations qu’elle subit inévitablement… au cours du temps ! La question paraît quelque peu saugrenue : est-il seulement possible d’envisager le temps comme une chose dont on pourrait préciser l’essence, indépendamment des événements qui le ponctuent ? C’est pourtant ainsi que nous représentons le plus souvent le temps dans notre culture : une flèche, un mouvement inexorable allant du passé vers l’avenir.
Cette question, vous vous en doutez, a bousillé le sommeil de pas mal de philosophes, depuis la Grèce Antique jusqu’à nos jours. Impossible de faire ici une rétrospective complète de leurs cogitations, mais nous pouvons nous arrêter sur la définition classique du temps, donnée par le philosophe Aristote dans son traité Physique, consacré à l’étude de la nature. Aristote s’y interroge sur l’existence même du temps. Et pour cause ! Le passé, par définition, est passé : il n’existe plus. Et l’avenir, par définition, est à venir. Aucun des deux n’est. Quant à l’instant présent, qui semble porter sur ses épaules toute la réalité du temps, il est de nature contradictoire. Il est à la fois toujours autre et toujours même. De plus, il n’est pas à proprement parler une partie du temps, mais plutôt la limite entre le passé et l’avenir.
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Lire la suiteComment diable Aristote s’y prend-il pour se saisir de ce fantôme ontologique ? Renonçant à le définir comme une essence, il part de notre expérience psychologique pour élaborer sa théorie du temps. « Nous percevons en même temps le mouvement et le temps », affirme-t-il au livre IV de la Physique. Pour autant, temps et mouvement ne sont pas équivalents : « le temps est quelque chose du mouvement ». Le temps c’est le découpage du mouvement en unités. Autrement dit, le temps est une réalité de l’âme, un acte de l’âme nombrant le mouvement. « Lorsque nous percevons l’antérieur et le postérieur, alors nous disons qu’il y a du temps, car voilà ce qu’est le temps : le nombre du mouvement selon l’antérieur et le postérieur ».
Ariane Mureau
Sources :
Aristote. (1999). Physique, 2e édition, livre IV. Vrin
Moreau, J. (1948). “Le Temps selon Aristote”. Revue Philosophique de Louvain, n°9, p.57-84
Pigler, A. (2003). “La théorie aristotélicienne du temps nombre du mouvement et sa critique plotinienne”. Revue Philosophique de Louvain, n°101-2, p.282-305