Lettre d’un trilobite à son découvreur
Mon histoire ? Évidemment que je ne pensais pas rester aussi longtemps ! Bien sûr, comme tout à chacun, j’aspirais à une vie bien remplie et suffisamment longue pour pouvoir laisser des traces. Mais 470 000 000 ans ! Il semblerait bien que mon héritage ait traversé les époques. Moi, petit trilobite de l’Ordovicien moyen disparu pour toujours. Moi, qui dans un dernier souffle m’étais laissé emporté dans les profondeurs abyssales. Enfoui par les sables, j’avais trouvé dans les vases mon linceul. Lequel s’est fait recouvrir par des milliers de couches sédimentaires durant le Paléozoïque. Mais contre toute attente la Bretagne, notre Bretagne, s’est exondée et a vu ses reliefs balayés par les vents et marées pour finalement me mettre à nu. Voilà que je retrouve un second souffle. On peut dire que je revis. Enfin mon histoire, notre histoire. Il semblerait que ma découverte ait permis de retracer le passé riche et tumultueux de ces terres rocheuses aux falaises abruptes. Là où le vertige plonge dans la mer déchaînée. Là où le soleil rend à l’écume ses dorures. Depuis, des milliers d’autres trilobites ont resurgi. Géologues et touristes cherchent à remonter le temps pour quelques instants. Malheureusement pour moi, dans tous ces fossiles, pas un seul ne laisse apparaître ses restes. Je me complais à penser qu’elle est pourtant bien là. Pas très loin. Je suis le témoin d’un monde disparu et dans les strates de ces escarpements, je cherche, comme vous, à reconstruire le passé. Et plus précisément le souvenir de mon aventure avec elle.
Ewen Jaffré