Témoignage d’un gabbro

La faille de Silfra, composante de la dorsale médio-atlantique en Islande © r.gielen Flickr

Je suis un Gabbro, roche du plancher océanique, et voici mon histoire. Je me suis formé à très haute température, autour de 1 200°C, il y a un peu moins d’une centaine de millions d’années au milieu de l’océan, au niveau d’une dorsale. Très rapidement les minéraux qui me composent se sont hydratés par le biais des sources hydrothermales : les fumeurs noirs océaniques. Avec l’eau, mes pyroxènes et mes plagioclases ont vu apparaître hornblende, chlorite et actinote. Cette transformation minérale à l’état solide s’appelle le métamorphisme, et cela fait de moi un méta-gabbro. Mais on pourrait aussi m’appeler Schiste vert à cause de la couleur de ces minéraux nouvellement formés.

Plus je voyage plus je m’éloigne de ma dorsale natale, et plus ma température diminue. Elle est descendue aux alentours de 200°C. Je suis plus dense maintenant que je me suis refroidi. Soudain, je me retrouve écrasé, compressé contre une autre plaque tectonique. Mais cela n’arrête pas ma course. Ma densité joue contre moi et je m’enfonce dans l’asthénosphère. Cinq… Dix… Quinze… Vingt kilomètres de profondeur !

Lorsqu’une croûte océanique plonge sous une autre, on parle de subduction. Les conditions de pression peuvent atteindre 20 000 bars alors qu’à la surface, elle est de 1 bar ©Antonin Cabioc’h

La pression augmente énormément et atteint les 6 000 bars ! Je sens l’instabilité des minéraux qui me composent : un nouveau métamorphisme pour compenser l’augmentation de la pression. Du glaucophane auréole la périphérie de mes pyroxènes qui se déshydratent alors que de la jadéite se forme… Je perds l’eau que j’avais accumulé peu après ma formation.

Quelques plagioclases subsistent ; je suis devenu un Schiste bleu, à cause de la couleur lavande du glaucophane. Et ma course continue. Trente, quarante, cinquante kilomètres, la pression est considérable : plus de 15 000 bars ! Je continue de me déshydrater, mes minéraux se transforment encore. Les pyroxènes et plagioclases ont presque disparu. À la jadéite s’ajoute le grenat à la couleur pourpre. Je suis devenu une Éclogite.

Ma descente s’est faite rapidement, sur quelques dizaines de millions d’années, et je suis devenu une des roches formées dans les conditions les plus extrêmes sur Terre.

Antonin Cabioc’h