Si les preuves historiques abondent quant au régime alimentaire des médiévaux, le développement de l’archéologie depuis la fin du XXe siècle apportent de nouvelles données. C’est grâce à cette science qu’il est aujourd’hui possible d’avoir une vision plus vaste et plus représentative des habitudes alimentaires de nos ancêtres.
La science contre les clichés
En 2016, des fouilles archéologiques sur le site du Château de Montépilloy ont permis d’excaver près de 2,5 kg de restes fauniques. S’étalant d’une période allant de la Protohistoire (IVe siècle av. J-C) au bas Moyen-Âge (XVe siècle), les ossements appartenaient à une grande diversité d’espèces. Du rat au boeuf, en passant par le chien, le héron ou encore la morue, ils constituent la première étape de notre enquête dans le passé. L’archéologie, discipline scientifique récente, dispose d’une multitude de spécialités et de techniques pour fouiller dans le passé. C’est en prélevant le mobilier, les restes matériels laissés par l’Homme, pas les meubles IKEA bien sûr, que les archéologues commencent leur travail d’investigation. Il est ensuite envoyé dans des laboratoires, où il est traité et analysé. Souvent biaisées, car se concentrant sur les élites, les sources historiques actuelles ne permettent pas d’avoir une vue d’ensemble des habitudes de vie d’une population.
La …ologie
Palynologie, carpologie, tracéologie… Si ces mots ne vous disent rien, il faut revenir à vos cours de latin. L’archéologie se veut pluridisciplinaire, se servant de toutes les sciences et de toutes les techniques existantes. Ainsi, sur un chantier de fouilles archéologiques, on peut compter jusqu’à plusieurs dizaines d’experts différents.
Dans un repas médiéval, il y a deux acteurs principaux : le mangé et le mangeur. De ce fait, il existe trois sources d’informations. Trois ? Les ossements animaux, étudiés par l’archéozoologue, les ossements humains, Saint-Graal de l’anthropologue, et la poubelle médiévale, prisée par de chanceux et non pas malheureux archéologues.
Lorsque le médiéval (ci-nommé, les hommes et les femmes ayant vécus entre le Ve et XVe siècle) festoie (peut être traduit par : prend son repas), il saisit avec ses mains, déchire avec ses dents, boit et se régale la panse. Avant cela, il a (ou quelqu’un a) cuisiné son ou ses (cela dépend de la bourse ou du pécule) repas et encore avant cela il a (ou quelqu’un a) tué son repas (végétaux compris). Toutes ces activités anthropiques laissent des traces que cela soit sur le mangé ou sur le mangeur (ou dans les poubelles). Prenons maintenant une faste Tuille de char ensemble. Cette recette est extraite du Mesnagier de Paris, texte d’économie domestique écrit vers 1393 par un bourgeois de Paris pour sa femme (il y avait sûrement un message subliminal). Il s’inscrit dans un corpus bien plus large de textes et d’iconographies qui nous renseignent sur l’alimentation du médiéval.
Pour cette recette, plusieurs ingrédients ont été nécessaires : poulet, écrevisses, oie, légumes, pain, vin et épices.
[Les] os, ayant subi différentes transformations, peuvent être étudiés par un tracéologue
Des siècles plus tard, ce repas aura laissé quelques traces. Tout d’abord, les os du poulet et de l’oie que l’on retrouve en fouille et qui sont caractérisés par un archéozoologue, capable d’un seul coup d’œil d’identifier la bête. Ces os, ayant subi différentes transformations, peuvent être étudiés par un tracéologue qui se penchera sur les traces que des lames ou des dents auraient pu laisser. L’élaboration du pain aura demandé de moudre du blé pour obtenir la farine. Or, les cultures de blé peuvent être repérées grâce à la carpologie, l’étude des graines et noyaux, et la palynologie, l’étude des pollens.
Enfin, il faut se pencher sur le mangeur, dont la dentition et les os auront été impactés par son alimentation. Si l’anthropologue est capable de repérer des caractéristiques comme l’usure des molaires ou des incisives (indiquant un régime plus végétarien qu’omnivore), il peut également faire appel aux techniques comme l’analyse isotopique.
L’analyse isotopique se sert des teneurs de ce qu’on appelle isotope dans les os. En fonction de ce que l’on mange, les os sont marqués par une “signature isotopique”. La méthode consiste, en premier lieu, à broyer les os de différentes espèces animales et, par l’analyse, définir un profil des différentes substances qui les composent. Ainsi, la signature est transmise du mangé au mangeur. La structure de l’os est très perméable et peut être une représentation directe de l’alimentation. Si ce repas avait été complété par quelques huîtres et autres fruits de mer, l’intervention d’un malacologue aurait été nécessaire pour étudier les restes de coquilles.
Enfin, les poubelles médiévales peuvent constituer un point d’informations car regroupant tous les déchets issus des repas et des abattages. Dans la réalité, ce faste repas n’était pas le même dans toutes les chaumières. En effet, l’archéologie peut nous renseigner sur le mobilier faunique laissé par le médiéval mais elle doit s’inscrire dans le contexte global du terrain de fouilles.
Des jeunes cochons pour le seigneur et un vieux boeuf pour le péon
Communément appelée la triade, le boeuf, le porc et les caprinés (moutons et chèvres) sont les espèces que l’on retrouve le plus fréquemment sur les sites archéologiques médiévaux. En revanche, ils ne sont pas consommés et utilisés de la même manière selon le milieu social.
En effet, pour des classes sociales moins aisées, qui constituent la majorité de la société médiévale et comprend surtout des paysans, la rentabilité est la priorité. Ainsi, lorsque l’on possède un boeuf pour labourer son champ, on l’exploite jusqu’à sa mort. Il est donc plus commun de trouver majoritairement des ossements de vieux boeufs en fin de carrière sur les lieux d’habitation de ces classes là. Les analyses isotopiques montrent une très grande consommation de pain et de végétaux dans les milieux modestes, mais plus difficile à caractériser en fouilles.
Quant aux demeures de seigneurs, il est non seulement courant de retrouver des boeufs et des caprinés, mais surtout des porcs. Au Moyen-Âge, le porc est le seul animal qui ne sert … à rien. Il est donc élevé uniquement pour sa viande et est abattu jeune. La chasse, seul apanage de la noblesse, permet d’approvisionner les cuisines seigneuriales en lièvre, chevreuil, cerf, cygne, daim et autres animaux de ces bois. Si la proximité avec une façade maritime ou un milieu fluvial peut aussi jouer sur le régime alimentaire, les nobles des terres intérieures sont (presque) les seuls à pouvoir se procurer du poisson et autres mets de la mer ou des fleuves.
Presque ? Les moines et les ecclésiastiques ne sont pas en reste. Si leur promesse de mener une vie simple et dénuée de luxure leur tient chaud la nuit, le poisson et les canards aussi. Les fouilles dans les monastères révèlent une alimentation très diversifiée se rapprochant de celle de la noblesse. Il existe d’ailleurs, un concile tenu en l’an de grâce 1783, où des moines avaient souhaités débattre quant à la nature du canard. Poisson ou oiseau, telle était la question, à la clef le prochain menu du carême.
Fin du repas ?
C’est à travers différentes spécialités que l’on peut aujourd’hui avoir une vision plus globale des habitudes alimentaires des médiévaux. La pluridisciplinarité que requiert l’archéologie fait appel à de nombreuses sciences et techniques. Bien que les ossements constituent le principal support d’informations, le moindre détail peut être analysé et dévoile alors une multitude de données. Ainsi, depuis quelques décennies, notre vision de l’alimentation a changé et s’est enrichie. Il est désormais plus facile de répondre à la question “Que mangeait-on au Moyen-Âge ?”. Néanmoins, il reste encore une part d’ombre en ce qui concerne les aliments d’origine végétale. Plus difficiles à collecter, les restes organiques ne se conservent pas de la même manière qu’un os. Seuls les sols très humides ou très secs permettent au mobilier archéologique de traverser les siècles.
Juliette Dunglas