Histoire d’un désespoir

Personnage devant une porte lumineuse. Par Par Clara Müller, https://pixabay.com/fr/illustrations/caricature-dessin-%c3%a0-main-lev%c3%a9e-porte-4805541/ Par Clara Müller, https://pixabay.com/fr/illustrations/caricature-dessin-%c3%a0-main-lev%c3%a9e-porte-4805541/

Voilà qu’elle ouvre la porte. Peut-être que ce sera pour nous, peut-être pas. Au début, on avait un certain espoir, fraîchement arrivées on espérait être fraîchement sorties. Maintenant… Autant vous dire qu’on ne se monte pas la fane pour si peu. Qui sait si nous sortirons de là les pieds devant, la moisissure nous grignotant le corps – ou si enfin elle se rappellera de pourquoi elle nous a amené là.

Mais non, y crois-tu ? La voilà qu’elle se penche et que son visage se dessine entre les clayettes. Sa main nous cherche, écartant nos voisins au passage. C’est donc réel ! Nous allons enfin sortir !

La lumière à l’extérieur est chaude et douce, si différente des néons blafards qui s’allumaient par intermittence. Elle nous baigne et nous frotte sous l’eau, nous débarrasse de la vieille humidité qui imprégnait notre prison de plastique. C’est un plaisir d’être là. Qu’il est agréable de sécher à l’air libre, loin des froideurs artificielles qui engourdissent. Du coin de l’œil je la vois s’affairer, préparer ses ustensiles. Malgré ces quelques moments de douceur, je ne suis pas sereine. Les rumeurs allaient bon train chez nos anciens voisins, et certains on-dit sont plus qu’effrayants.


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La sensation d’être dévêtue par des mains inconnues n’est certes pas la plus agréable, mais on s’y fait vite et cela dure peu de temps. Rien à voir avec la trahison qui suit. La lame s’approche vite, et tranche ma chair sans hésitation. Me voilà éparpillée sur le plan de travail. On l’entend fredonner alors qu’elle nous éviscère, quelle honte ce rap comme éloge funéraire!

Le temps passe vite après, j’ai de la peine à reprendre mes esprits. J’entends les autres qui geignent dans le plat, et leurs jérémiades sont aussi les miennes. Mais voilà qu’elle nous recouvre d’un liquide tiède et odorant, et qu’elle nous glisse vers une grande boîte. Dès qu’elle en ouvre le couvercle, un air chaud et sec nous gifle et nous panique. Elle en clôt la porte et nous laisse à l’intérieur. Je peux apercevoir son visage par la vitre qui nous dévisage, l’air satisfait, puis qui s’éloigne. Va-t-elle réellement nous abandonner au coeur de cette fournaise ? Je sens que je commence à défaillir, la chaleur est trop forte. Le liquide bouillonne autour de moi, tel un jacuzzi mortifère. Les plaintes de mes congénères diminuent, jusqu’à ce que le silence ne soit plus comblé que par la grande soufflerie qui brasse vers nous cet air trop chaud. Je sens que mes dernières forces m’abandonnent. Ça y est, les carottes sont cuites. 

Clara Müller