Nous sommes en Nouvelle-Guinée, en 1950. Ce n’est pas le coronavirus qui inquiète le peuple des Fore, mais le kuru, une maladie semblable à la vache folle. Une pathologie transmissible par des moyens peu communs : des rites funéraires anthropophages. Une pratique traditionnelle qui suffirait, à nous Européens de 2020, pour considérer ce peuple fou. Mais que nenni. La folie est, comme la beauté, dans l’œil de celui qui regarde. Et lorsque l’on pointe notre viseur sur les cultures ou traditions à l’autre bout de la planète, nous sommes facilement surpris par l’inconnu. Même quand c’est plus soft que le cannibalisme.
Le Kuru fut découvert au cours du XXe siècle par Daniel Carleton Gajdusek, et lui valu un prix Nobel conjointement avec Baruch Blumberg, pour leurs avancées sur les maladies neuro-dégénératives. Ces rituels furent ensuite interdits par les autorités Australiennes pour limiter l’épidémie. Pour les Forés, consommer leurs parents décédés était un moyen de s’imprégner de leur force physique et spirituelle.
Les hommes mangeaient les muscles, les femmes et les enfants le système nerveux central. Et c’est là que réside le risque sanitaire. Le coupable ? Une protéine prion se trouvant naturellement dans notre corps. Lorsque tout se passe bien une protéine se crée par le repliement d’une molécule linéaire, lui donnant sa structure en trois dimensions. Mais parfois, ce repliement se passe mal. Dans le cas du kuru, la protéine prion se replie de manière très serrée sur elle même, devenant très peu soluble et ne se dégrade plus. Elle s’accumule alors dans le corps, induit cette mauvaise conformation à d’autres protéines et ramollit le cerveau en le rendant spongieux.
En découle un trouble de l’équilibre, un manque de coordination des mouvements, des troubles visuels, crises d’épilepsies et secousses musculaires. Ajouter au tout un peu de démence et la recette est prête. De quoi faire trembler de peur tout un peuple, et c’est d’ailleurs ce que signifie « kuru » en langage foré.
De retour en 2015, l’histoire continue ! La curiosité de chercheurs anglais est attisée par des femmes de la tribu ayant résisté à l’épidémie. Dans un article publié dans Nature, ils mettent en évidence une mutation génétique : une variante de la protéine prion est apparue et confère une résistance. Pour tester leurs hypothèses ils implantent ces gènes dans des souris… Résultat : les souris génétiquement modifiées deviennent résistantes à toutes les maladies neurodégénératives à prions. Cette réaction chez les souris pourrait expliquer ce qui est arrivé chez les femmes de la tribu avec le kuru, mais nécessite de plus amples recherches qui pourraient aider à mieux comprendre les mécanismes impliqués dans les maladies neurodégénératives.
Tiphaine Claveau