La trame et le papillon

Crédits : Regina Zanke CC BY 2.0

Avez-vous déjà vu un papillon traverser une route ? Cette épreuve mortelle à laquelle notre environnement le confronte est bien cruelle, mais la vie en milieu urbain a des impératifs apparemment incompatibles avec l’élan qu’a cet insecte de passer où et quand bon lui semble. Pourtant, s’il est là, c’est bien qu’il le peut. Notre ville se situe dans son aire de répartition, c’est-à-dire que les conditions physiques nécessaires à sa survie sont réunies. Une route, un immeuble, un pont : peu de choses suffisent à perturber la circulation d’un grand nombre d’espèces, végétales ou animales. Mais des voies de passage existent et peuvent changer la donne pour certaines : une allée de platanes, une mare artificielle, un fleuve, ou même un trottoir où l’on aurait laissé pousser les herbes folles. C’est tout le concept des trames vertes et bleues. Cette stratégie d’aménagement permettant de rétablir cette continuité perdue est au coeur des réflexions sur la place de la nature en ville. 

Une vision essentielle au maintien des espèces

À Paris, la voie ferrée de la petite ceinture est réinvestie par la biodiversité depuis sa fermeture en 1934, exemple imposant de continuité écologique. Dans le cas de notre ami à écailles, si celui-ci habitait à Paris, cette voie ferrée lui permettrait de voyager et se reproduire avec ses congénères du bois de Boulogne ou de Vincennes. Que ce soit pour lui ou les autres espèces qui vivent en ville, l’objectif écologique des trames vertes et bleues est de créer un maillage, un réseau, permettant aux flux de populations de circuler entre plusieurs réservoirs de biodiversité. Ce lien génère un échange continu de gènes entre plusieurs populations d’une même espèce. Un nombre croissant de gestionnaires prennent en considération le fait que ce qui cause le plus de tort au maintien des espèces, c’est le fractionnement de leur habitat. Et ce au même titre que sa destruction, car une population qui ne renouvelle pas son lot de gène se fragilise dangereusement sur le long terme.

La biodiversité urbaine insoupçonnée 

Pourtant, il existe une réticence à voir fleurir des friches ou des « mauvaises herbes« , sur les trottoirs. Parce que dans la vision de ce qu’est une ville, la végétation spontanée ne possède pas de valeur esthétique et est associée à l’abandon d’un lieu, la vision d’une plante adventice1 dérange. Pour un passant, il est difficile de faire le lien entre ces îlots de nature et la renaissance de la biodiversité en ville. 

Malheureusement, cette réticence, aussi bien du côté des habitants que de celui de certains gestionnaires, peut freiner l’émergence des trames vertes et bleues. Une évolution dans la manière de penser les frontières entre nature et structures humaines est nécessaire, et se constate déjà dans les termes utilisés. L’appellation « corridor écologique » sert encore aujourd’hui à désigner ces zones liant plusieurs réservoirs. Elle suggère une nature traversant la ville comme par un tunnel isolé, mais sans s’y confondre. Le terme émergent de « continuité » laisse place à une intégration plus profonde des espèces en ville.  

Au delà des mots, Nantes et Strasbourg ont fait de l’insertion de ces trames la priorité de leur plan d’urbanisme, et la mairie de Paris tente depuis plusieurs années de mettre en valeur la petite ceinture en y réintroduisant une activité culturelle et sociale. Ces exemples sont loin d’être isolés et des initiatives similaires apparaissent progressivement ; une bonne nouvelle pour notre papillon.

1 Nom plus respectueux (parce que oui, elles sont respectables) des « mauvaises herbes » ou « herbes folles« .

Marion Barbé