« Loi de Programmation de la Recherche » : quand la démocratie n’est plus au programme

Dans une tribune à « L’Octopus Journal », des étudiant·e·s du Master Audiovisuel Journalisme et Communication Scientifiques de l’Université de Paris ont décidé d’exprimer leurs inquiétudes au sujet de la Loi de Programmation de la Recherche (LPR). 

Si vous pensez que la recherche ne vous concerne pas, vous vous trompez. Elle est la seule capable de proposer des réponses rationnelles à des enjeux sociétaux fondamentaux, comme les crises sanitaires et le réchauffement climatique. La Loi de Programmation de la Recherche, par ses différentes mesures, met en danger la capacité de la recherche publique à répondre à ces enjeux. À terme, les conséquences vont s’avérer désastreuses. À cela s’ajoute le durcissement des peines contre les délits d’entrave au sein d’établissements universitaires rendant la protestation toujours plus compliquée. 

La LPR vise à réformer le système de recherche français. Cela passe par plusieurs grands points. Premièrement, une augmentation du budget à hauteur de 25 milliards d’euros sur 10 ans afin de faire progresser le financement de la recherche publique à 3% du PIB (chiffre en dessous de ce que demande l’Académie des sciences). Une nouvelle qui reste tout de même à nuancer. En effet, le texte prévoit le budget sur dix ans, une durée inhabituellement longue qui permet de gonfler le chiffrage. De plus, l’essentiel de l’effort budgétaire est programmé pour la fin des 10 ans, et sera donc à la charge d’un autre gouvernement. 

La suppression des financements pérennes des laboratoires au profit de financements par projets est également prévue, entraînant une priorisation de la recherche appliquée, économiquement bénéfique, au détriment de la recherche fondamentale et des sciences sociales. Pourtant, les SHS et la recherche fondamentale sont essentielles à la compréhension de notre monde et servent de socle à la recherche appliquée. Ce mode de fonctionnement par projet mène aussi à la disparition de la liberté académique. 

La création d’un nouveau type de contrat est annoncée : le CDI de mission, permettant de recruter des chercheurs pour toute la durée d’un projet. Ce CDI n’a donc de CDI que le sigle. Cela va de pair avec la création de postes de professeurs assistants temporaires. Malgré une légère revalorisation des salaires des personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur, ces mesures encouragent une précarisation des métiers de la recherche.

Pour finir, un amendement, récemment ajouté à cette loi, instaure un délit d’entrave en cas de  « trouble de la tranquillité » d’un établissement universitaire, passible de un à trois ans d’emprisonnement et jusqu’à 45 000€ d’amende. 

La LPR en images :

Un grand merci à Science et Dessin pour son superbe travail !

En tant qu’étudiant·e·s et futurs journalistes scientifiques, nous sommes doublement impactés par cette réforme. Nous allons certainement assister à une baisse de qualité de nos enseignements. La recherche sera davantage priorisée par nos enseignant·e·s, victimes d’un système poussant à la compétitivité et obnubilés par la recherche de financements. Les cours seront donc confiés à des vacataires, dont les conditions d’emplois déplorables ne sont plus à démontrer. Cela aura aussi pour conséquence de confier davantage la recherche aux entreprises privées.

Par la transparence de la recherche publique nous sommes garants de son utilité collective. Dans le cas où la recherche serait majoritairement privée on ne pourrait pas avoir l’assurance d’une science utile à tous. Une science régie par des brevets et des secrets industriels est incompatible avec la libre circulation de l’information, rendant le métier de journaliste toujours plus compliqué.

À cela s’ajoute le nouvel amendement rendant les protestations au sein des facultés impossibles. C’est un déni de démocratie et une atteinte à notre liberté d’expression. L’occupation des universités est un moyen historique de protestation pour les étudiants, comme en témoigne Mai 68. Sans oublier la loi « sécurité globale » interdisant la diffusion d’images des représentants des forces de l’ordre, nous faisant un peu plus penser à un état autoritaire.

Il est légitime de se demander comment un texte aussi décrié a pu passer au Sénat et à l’Assemblée Nationale. D’autant plus que de nombreux dysfonctionnements durant tout le processus d’adoption du projet de loi ont été remarqués. Le caractère tardif et urgent n’a laissé que peu de temps au Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (CNESER) pour se concerter. Le Conseil d’État souligne l’absence de prise en compte de l’avis du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE), mais aussi une étude d’impact insuffisante. Dans l’hémicycle le tableau n’est pas plus coloré. En plus d’une procédure d’adoption accélérée, il est à noter un dialogue absent et des amendements peu discutés au sein même du parlement où le débat politique n’est visiblement pas une priorité. Ces dysfonctionnements sont donc les symboles d’un manque de conscience démocratique de la part d’un gouvernement, qui fait du débat public de la poudre de perlimpinpin. Tout cela alors que l’opposition est forte et provient d’horizons divers. 

Car oui, nous ne sommes pas les seul·e·s à nous mobiliser contre ce texte de loi à la mise en place autoritaire. En effet, le site Université Ouverte recense 114 universités et écoles dont la Sorbonne et l’Université de Paris, 336 labos, 30 collectifs de précaires, 157 revues, 16 sociétés savantes, 47 séminaires, 37 sections CNU et 11 sections CoNRS, 54 évaluateurs de l’HCERES se positionnant contre. Comment se fait-il qu’une opposition aussi importante soit si peu prise en compte ?

Promulguer une loi aussi contraignante en pleine pandémie et entre deux confinements, il fallait oser ! Et bien le gouvernement français l’a fait. La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation Frédérique Vidal n’a pas hésité à profiter de la focalisation médiatique sur la crise sanitaire actuelle pour passer inaperçue et faire fi des contestations, notamment de ses collègues chercheurs. Alors que tout le pays s’adapte tant bien que mal à une situation inédite et rendant la mobilisation compliquée, il aurait été judicieux, respectueux et démocratique que Madame la Ministre repousse sa procédure. 

En écrivant cette tribune, nous avons vocation à diffuser  l’information. L’atmosphère au sein des assemblées générales de ces derniers mois est accablante : les enseignants et personnels de facultés, les chercheurs et personnels de recherche sont épuisés. Épuisés, non pas de leurs conditions de travail déjà difficiles, mais épuisés de ne pas être entendus, de voir leur avis et leurs inquiétudes ignorés. Ne dit-on pas que le pire des mépris est le silence et l’ignorance ? En ignorant l’avis des principaux concernés, le gouvernement français ne se montre pas à la hauteur des valeurs démocratiques qu’il revendique haut et fort. L’opération “écrans noirs” du 13 au 17 novembre est une démarche de désespoir. Une dernière démarche qui, elle aussi, restera silencieuse. 

Ne serait-ce que pour exprimer notre profond soutien à nos enseignant·e·s, il est de notre devoir de futurs journalistes de dénoncer publiquement cette loi et la procédure qui mène à son adoption. Nous sommes solidaires avec les acteurs du monde universitaire déjà mobilisés, et nous comptons aussi sur vous ! 

Signataires :

Étudiant·e·s du Master Audiovisuel, Journalisme et Communication Scientifiques de l’Université de Paris, par ordre alphabétique :

Arthur Amiel, Sirine Ben Younes, Nawel Boulmane, Jeanne Bourdier, Déborah Bourgeau, Mélissande Bry, Sybille Buloup, Sara Chaouki, Aurore Chevalier, Guillaume Crest, Antoine Duval, Rémy Fauvel, Simon Fretel, Edwyn Guérineau, Ewen Jaffre, Célia Khalif, Clara Müller, Marie Origas, Mathilde Ruby, Laurène Sarradin, Joachim Taïeb, Pierre Tousis, Lina Vigneron, Victor William.