Le sexisme dans les jeux vidéo a un impact concret sur la vie des femmes. Il prend des formes multiples : traitement déshumanisant des personnages féminins, dévalorisation des pratiques féminines, insultes, menaces, harcèlement en bande, revenge porn, etc. En France l’article publié en 2013 par la joueuse et développeuse Mar_Lard “Sexisme chez les geeks : pourquoi notre communauté est malade, et comment y remédier” a rendu visible la violence à laquelle les femmes sont massivement confrontées quand elles jouent. L’ambiance lourde entraînant un retrait des joueuses de certaines communautés, ainsi que la dévalorisation de leurs accomplissements à base d’arguments sur leur physique et leurs affinités avec des joueurs, font aussi partie de la masculinisation du milieu : les femmes s’effacent pour se protéger.
Comme le souligne le documentaire « Qui sont les joueurs de jeux vidéos » réalisé par Game Spectrum, le sexisme dans les jeux vidéo est notamment réalisé par des hommes, de surcroît souvent blancs, hétérosexuels, cisgenres. Cela a son importance. La place prépondérante des hommes dans les jeux vidéo n’est pas naturelle. Elle s’explique par une naissance des jeux vidéo dans le contexte de Guerre Froide et donc des jeux tournés surtout vers la compétition sportive et la violence. Dans un second temps, le succès de Nintendo a ciblé son marketing sur les garçons (pré-)adolescents.
Le sexisme n’est pas spécifique au domaine des jeux vidéo, il est l’une des expressions de la domination masculine, prédominante dans l’ensemble de la société. Cependant il s’y exprime dans des conditions particulières. On retrouve notamment un développement des jeux vidéo pensé par les dominants pour les dominants.
La représentation des femmes est centrée sur ce que la société considère être les fantasmes et désirs des hommes (cis, blancs, hétérosexuels). Les personnages féminins sont ancrés dans les stéréotypes qui conditionnent notre société. Une femme dans un jeu est rarement naturellement forte. Dans son histoire, elle aura vécu un événement traumatisant : meurtre d’un proche, viol, torture etc. tandis qu’un personnage masculin fort n’aura pas à se justifier. Les jeux érotiques participent aussi à une certaine vision de la femme : soumise, timide, objet sexuel. Ils renforcent par leur gameplay (enchaînement des bonnes lignes de dialogue pour séduire) l’idée que le sexe est un dû qui s’obtient en étant gentil, en disant les bonnes choses. Dans de nombreux jeux, la présence de personnages secondaires féminins n’est là que pour créer une romance avec le héros.
Ce comportement dominant se ressent aussi dans la vie quotidienne des joueurs et joueuses. L’utilisation du pseudonymat facilite le harcèlement et renforce le boy’s club. Et surtout, une identité geek qui emprunte certains traits de la masculinité hégémonique, c’est-à-dire le modèle masculin le plus valorisé dans une société.
Dans de nombreux pays dont la France, même s’il ne se réduit pas à ces groupes, ce sexisme violent est aussi, dans certains cas, lié à des communautés proches de l’extrême droite. C’est le cas des forums masculinistes et racistes comme le forum 18-25 sur le site JeuxVidéos.com
Féminiser les jeux et l’industrie : un effort commun.
La place des femmes dans cette industrie est caricaturée et limitée. De l’archétype du personnage féminin de second plan, dépendant d’une figure masculine au cruel au manque de parité dans l’industrie,, il est donc essentiel de remettre en question cette vision caricaturée des personnages genrés dans l’univers gaming et cette inégalité structurelle dans ce secteur professionnel. En 1996, Tomb Raider fait naître l’éternel protagoniste qu’est Lara Croft. L’héroïne saisit l’action et la dirige. Malgré les défauts du jeu, jouer en étant femme devient alors possible. Cet essor des personnages principaux féminins va de pair avec une (lente) évolution au sein de l’industrie. Les éditeurs et entités mettent en place (non sans quelques freins) des règles strictes pour sanctionner le harcèlement dans les jeux et dans les studios. De plus en plus de femmes deviennent gamedesigneuse ou développeuse. En 2013 le jeu Portal porté par la level designeuse Kim Swift a trouvé sa place au musée d’art moderne de new york. Mais être une femme dans un milieu aussi genré est encore très complexe. Le sexisme doit être questionné dans les jeux vidéo mais doit aussi passer par une remise en cause de l’ordre social dans son ensemble. Pour Mehdi Derfoufi, une remise en cause du système de genre, classe, race et la précarisation induite par le capitalisme est nécessaire. Selon lui, le jeu vidéo est une expression du modèle de société dans lequel on vit.
Pierre Jothy, Quentin Vanbutsele, Claire Peyrot & Agathe Delepaut