Attaques de requins à La Réunion : une crise en eaux troubles

©Gerald Schömbs

Qui n’a pas frissonné à l’idée de se faire dévorer par un requin en regardant Les dents de la mer, le célèbre film de Steven Spielberg ? Malheureusement, la fiction a rejoint la réalité dans l’Océan Indien à l’île de La Réunion où l’on recense, depuis 2011, 27 attaques de squale dont 11 mortelles. Ce lourd bilan a plongé l’île dans un climat délétère engendrant tensions et interrogations. Tour d’horizon de ce drame hors-normes suscitant désormais l’intérêt des plus hautes sphères de l’Etat français.

Le 19 février 2011 marque le début de ce que l’on va bientôt appeler dans le département de La Réunion la « crise requin ». Un surfeur se fait arracher la jambe par la mâchoire d’un squale sur le « spot » de Grand Fond à Saint-Gilles-les-bains, une des plages les plus fréquentées du territoire. La même année, deux bodyboarders perdent la vie non loin de là à Boucan Canot. En 2013, c’est une baigneuse en vacances qui se fait mordre mortellement à St Paul.

Une situation alarmante

Cette actualité sanglante, relayée par les médias du monde entier, ternit l’image de l’île et impacte fortement son secteur touristique. Face à cette situation alarmante, les autorités réunionnaises décident de créer un organisme aujourd’hui appelé le CRA (Centre de ressources et d’appui sur la réduction du risque requin) et mettent en place un plan global de réduction du risque. En 2013, un arrêté préfectoral interdit la baignade et les activités nautiques (surf, bodyboard,…) en dehors des lagons et des plages surveillées, équipées de filets anti-requin. Cet accès réglementé à la mer porte un coup très dur au tourisme dans l’île, sans éviter pour autant les accidents.

En effet, malgré l’interdiction, les surfeurs les plus passionnés continuent de se livrer à leur passe-temps favori, hors des zones autorisées. Avec pour résultat de nouvelles attaques tragiques, de nouveaux morts et de nouveaux blessés. Mise en cause, la communauté des sports de glisse cherche un fautif et pointe du doigt la réserve naturelle marine de La Réunion (RNMR) créée en 2007 et située au coeur d’une zone balnéaire. Ce « garde-manger » pour requins favoriserait, selon eux, leur prolifération. Ces accusations sont vivement réfutées par les scientifiques de la réserve et les écologistes qui dénoncent un « raisonnement spéculatif » sans preuve tangible.

Les écolos crient au massacre

Devant la persistance des attaques, le CRA lance plusieurs projets de recherche, comme le programme CHARC, afin d’étudier le comportement des requins par marquage. Il autorise également en 2015 les pêches expérimentales des squales considérés comme les plus dangereux (requins-bouledogue et requin-tigre). Une mesure à visée scientifique et préventive. Ces pêches sont immédiatement critiquées par les militants écologistes, particulièrement par l’association Sea Shepherd, accusant les autorités de perpétrer un massacre contre des espèces en voie d’extinction afin que les surfeurs puissent « s’amuser dans les vagues ».

Les projets lancés par le CRA ont néanmoins permis de mieux comprendre le comportement des requins et d’apporter certaines réponses. Une récente étude publiée dans Nature Scientific Reports montre que l’incidence du risque d’attaques serait liée à une transformation des écosystèmes marins et côtiers causée par l’activité humaine. La surpêche et la variation de la qualité des eaux réunionnaises seraient parmi les causes de la fréquentation accrues de requins aux abords des côtes de l’île. Malgré cette meilleure compréhension du phénomène et les mesures prises par les surfeurs eux-mêmes pour diminuer le risque, comme le plan « Vigie Requin Renforcée » ou l’adoption de bracelets magnétiques anti-squale, les attaques continuent à La Réunion. La dernière en date, en mai 2019, a coûté la vie à un pratiquant sur le « spot » de Saint-Leu, proche de Saint-Gilles.

La situation est telle qu’Emmanuel Macron a dû s’exprimer sur ce sujet brûlant lors de sa visite à la Réunion en octobre 2019. Il a affirmé avec force sa volonté d’en finir avec la crise requin dans les trois ans à venir. Selon son voeu, les eaux de La Réunion devraient être rouvertes aux sports de glisse et à la baignade d’ici 2022, mais seulement après qu’elles aient été sécurisées. Compte tenu de la complexité du problème, il semble bien difficile que ce délai soit respecté. Les dents de la mer n’a donc pas fini de faire frissonner d’angoisse les plages de l’ancienne île Bourbon.

Martin Ducret