La vie, autrement

Fumeurs noirs à 2980m de profondeur sur la dorsale médio-atlantique © Marum, CC BY 4.0

Les abysses sont un terrain d’obscurité où la vie peine à se frayer un chemin. Il existe cependant de mystérieuses oasis sous-marines qui renferment tout un écosystème si différent de celui de la surface qu’on le croirait sorti des profondeurs de l’imagination d’un auteur de science-fiction. Plongeons ensemble dans les abîmes du vivant, à proximité de la chaleur surréaliste des monts hydrothermaux.

Une étrange découverte

En 1976, le Dr Kathleen Crane enregistre une anomalie de température dans l’océan vers les Galapagos. Il semblerait que la source de chaleur provienne des fonds marins. Cette étrange mesure amène Crane à publier toute une carte de la zone indiquant les différentes anomalies de température qu’elle relève dans les environs. Ces cartes sont utilisées quelques mois plus tard par des géologues américains embarquant à bord d’un sous-marin pour explorer les abysses. Ce qu’ils découvrent à 2 700 mètres de profondeur relève du fantastique. Le fond marin est en effet constellé d’étranges sortes de termitières qui dégagent un étrange fluide, semblable à de la fumée. Autour de ces singulières structures sous-marines pouvant atteindre les 400°C, la vie fourmille mais elle semble venue d’ailleurs. Huit ans après le premier pas de l’homme sur la Lune, l’humanité s’apprête à faire un bond de géant sur sa propre planète.

Des structures géologiques exceptionnelles

Les monts hydrogéothermaux résultent en réalité de l’activité tectonique. On les retrouve toujours à proximité des dorsales océaniques, ces gigantesques chaînes de volcans sous-marins. Lors du refroidissement du magma situé en profondeur, il se fissure et l’eau de mer froide s’infiltre dans la roche. En se rapprochant des chambres magmatiques, l’eau se réchauffe avant de se frayer un chemin vers le haut, c’est-à-dire vers une éventuelle sortie. Lors de son périple, elle s’enrichit en éléments divers et variés. Elle s’échappe enfin sous la forme d’un fluide hydrothermal brûlant et au pH extrêmement acide. En fonction de la température de sortie, le fluide peut prendre un aspect de fumée noire ou blanche. Au contact avec l’eau froide environnante, le fluide à tendance à précipiter pour former une curieuse cheminée sous-marine : le « fumeur ».

Des crevettes (Alvinocaris), quelques galathées et des centaines de bivalves (Bathymodiolus). Image courtesy of Submarine Ring of Fire 2006 Exploration, NOAA Vents Program [Public domain]

De la vie là où on ne l’attendait pas

Ces monts constituent de véritables oasis situées dans un environnement abyssal sombre et lugubre où la température dépasse rarement les 2°C. Ici, ce n’est pas la lumière du soleil qui fournit l’énergie nécessaire à la production primaire, mais la Terre elle-même. Les bactéries qui vivent là tirent en réalité leur énergie des minéraux, comme le sulfure d’hydrogène, dissous à proximité des fumeurs. Ce métabolisme rare se nomme chimiotrophie, et des communautés entières d’êtres vivants reposent sur l’activité de ces bactéries pas comme les autres. Parmi les espèces extraordinaires vivant autour de ces sources de chaleur sous-marines, des scientifiques français ont découvert Alvinella popejana, un ver résistant à des températures de plus de 80°C, appelé ver de Pompéi. On y retrouve également des palourdes de 30 cm, des crabes d’une pâleur de fantôme et des annélidés de plus de 2 mètres. 97 % des espèces qui y ont été découvertes n’avaient jamais été observées auparavant : tout un nouveau monde se cachait depuis toujours dans les tréfonds. Certains scientifiques estiment même que la première forme de vie aurait pu naître là, à la frontière entre la terre, la mer, le glacial et le brûlant.

Baptiste Gaborieau