Les supraconducteurs sont des matériaux possédant des caractéristiques pour le moins exceptionnelles. Ils peuvent conduire le courant sans aucune résistance, repousser les champs magnétiques autour d’eux, et peuvent même servir à faire léviter des trains entiers ! Mais ils ont un inconvénient de taille : ils fonctionnent seulement à des températures extrêmement basses. À leur découverte en 1911, il fallait se rapprocher du zéro absolu pour obtenir de telles propriétés, mais aujourd’hui, certains matériaux les possèdent à des températures voisines de -140°C. Comment a-t-on repoussé cette extrémité ?
L’aventure commence à -268,8°C, 4,2 petits degrés au-dessus du zéro absolu, dans un laboratoire de la ville de Leyde aux Pays-Bas. Le physicien néerlandais Heike Kammerlingh Onnes et son équipe mesurent la résistance d’un barreau de mercure plongé dans de l’hélium liquide. Une résistance qui s’est retrouvée nulle, à la surprise des physiciens de l’époque. Comment expliquer qu’un matériau si commun tel que le mercure puisse changer ses propriétés si radicalement pour devenir parfaitement conducteur, simplement en se refroidissant ?
La compréhension du phénomène fut formalisée plus de 40 ans plus tard en 1957 par la théorie BCS, qui décrit la supraconductivité comme un phénomène quantique. Comme pour tout phénomène de nature électrique, les électrons jouent le rôle principal : c’est leur déplacement qui permet le passage du courant. Si ce déplacement est de quelque manière que ce soit limité dans le matériau, celui-ci possède une résistance. Dans un matériau classique, ces électrons sont tous indépendants les uns des autres et réagissent de manière désordonnée à toute perturbation ou défaut du conducteur. À l’inverse, par des interactions au niveau atomique les électrons dans un supraconducteur se rassemblent par paires, appelées paires de Cooper. Ces paires d’électrons sont beaucoup plus cohérentes, et peuvent s’associer entre elles pour former une seule onde quantique qui occupe tout le matériau. Cette extrême cohérence la rend insensible à toute perturbation, et permet au courant de passer sans aucun obstacle. La résistance électrique a alors totalement disparu.
À l’image du mercure dans l’expérience de Onnes en 1911, ces matériaux gagnent cette capacité supraconductrice avec le froid, mais la perdent dès que la température remonte. Cette température limite est nommée température critique, et reste proche du zéro absolu dans des conditions normales de pression pour ces supraconducteurs dits conventionnels. Mais depuis, les physiciens ont rencontré d’autres phénomènes plus excentriques, et des matériaux qui possèdent des températures critiques plus élevées. Parmi eux les cuprates, découverts en 1986 par le physicien suisse Karl Müller et le physicien allemand Johannes Georg Bednorz, qui élaborent cette année-là un oxyde de lanthane, baryum et cuivre supraconducteur à 35 degrés au dessus du zéro absolu. Leur découverte a véritablement lancé une course aux hautes températures, qui se poursuit encore aujourd’hui. Certains de ces matériaux permettent de maintenir une activité supraconductrice autour de -135°C.
Malgré ce développement laissant présager des applications plus simples des propriétés exceptionnelles de ces matériaux, il n’y a encore aucune explication valide du phénomène. Nous ne comprenons pas encore l’origine de leur supraconductivité : les paires de Cooper se forment bien, mais par d’autres mécanismes que pour les supraconducteurs conventionnels. De nombreux laboratoires se penchent sur la question. Non des moindres, le laboratoire Matériaux et phénomènes quantiques (MPQ) de l’Université Paris Diderot qui a réalisé un skateboard en lévitation nommé Magsurf, pour fêter les 100 ans de la découverte de la supraconductivité. En attendant un Magsurf qui fonctionnera sans azote liquide, la recherche d’une supraconductivité à température plus élevée se poursuit.
Hugo Dugast