Quand le sol se fait la malle

La déforestation est le changement d’usage des sols le plus important sur la planète. Si l’agriculture est un facteur majeur de la déforestation, elle est surtout le précurseur immédiat d’un terrible processus d’érosion, déstabilisant tout un mécanisme naturel et fragile.

Avez-vous déjà essayé de remplir un seau percé ? C’est impossible, ou du moins très long et fastidieux. Vous finirez par vous poser la question « pourquoi fais-je cela ? » Sans le savoir, c’est ce que nous faisons avec la déforestation. Parmi les méfaits de cette pratique se trouve l’érosion, c’est-à-dire l’ablation du sol et son transport par l’eau ou le vent.
En effet, un sol avec un couvert végétal régule très bien l’eau : les arbres ralentissent les gouttes de pluie qui tombent et les herbes diminuent le ruissellement. Ainsi, l’eau s’infiltre davantage dans le sol au lieu de couler en emportant la terre avec elle. Par la suite, les végétaux absorbent l’eau par les racines et transpirent par les feuilles, contribuant au maintien du régime des pluies.
À l’opposé, un sol nu sera emporté par l’eau, causant (entre autres) inondations, coulées de boue et sécheresses. En quelques années, le sol peut être complètement érodé, ne laissant derrière lui qu’une roche dure : la roche mère. Une étude menée au Brésil en 2015, publiée dans Earth surface processes and landforms, a comparé l’érosion d’un sol de savane sauvage et un sol nu agricole. Alors que la savane ne perdait que 0,1 tonne de particules par hectare et par an, le sol nu en perdait 12. Et sans sol, comment cultiver ? Il faut attendre que cette roche soit transformée en terre par la pédogenèse.

Le sol peut s’éroder dix fois plus vite qu’il ne se forme

Or, la formation complète d’un sol se réalise sur un temps bien plus long que son érosion, jusqu’à dix fois plus selon les climats. Divers processus se succèdent sur la roche mère jusqu’au développement de la faune et de la flore. La lente fragmentation de ce « socle » sous l’effet des conditions météorologiques entraîne la création de cavités de différentes tailles. Apportés par le vent, certains végétaux « pionniers », comme les fougères, prennent place dans les craquelures de la roche mère et amorcent la longue conquête biologique sur cette roche grâce à la germination progressive des végétaux concernés.
Progressivement, selon les aléas climatiques et les conditions imposées localement, les types de végétaux vont se diversifier et, de fil en aiguille, une faune prendra place à son tour. Parmi cette faune, les lombrics sont essentiels à la bonne formation du sol, car ils lui permettent de l’aérer et d’accélérer les processus de décomposition de la matière organique (animaux et végétaux morts). En parallèle, la roche mère continue de s’altérer sous la pression des réseaux racinaires par des actions à la fois mécaniques et chimiques.

Le sol est une ressource non renouvelable

Ainsi, la suppression d’un des éléments constituant le sol dérègle profondément le mécanisme parfaitement huilé. Dans le cas de la déforestation, c’est l’absence des végétaux et de leurs rôles qui enraye la machine : le sol n’est plus pourvu en matière organique et ne peut plus tenir en place sans la présence des racines. Il faudra alors encore attendre de longues années avant de pouvoir enfin retrouver l’effervescence féconde d’une terre pleine de vie.
La FAO (Food and Agriculture Organization) rappelait déjà en mars 2015 que « le sol est une ressource non renouvelable » à l’échelle de vie humaine. Pour limiter les dangers liés à la déforestation, une solution pourrait être de maintenir un couvert de végétaux sur l’ensemble de l’année, ou de ne pas pratiquer la déforestation à outrance sans être conscient des réponses naturelles de l’engrenage.

Antonin Cabioc’h et Pierre-Yves Lerayer

À regarder
Prolongez le plaisir avec une expérience sur l’érosion disponible dès maintenant dans la vidéo « Quand le sol se fait la malle », aussi disponible sur notre chaîne YouTube