De récentes études menées sur les végétaux sont à l’origine d’une étonnante question : ont-ils une mémoire ? Sous le regard sceptique de biologistes, des chercheurs avancent que certaines plantes se souviendraient d’agressions passées et réagiraient par sécrétions chimiques quand un événement similaire se reproduit. Le concept du Wood Wide Web pourrait bien devenir le moyen de trancher ce houleux débat.
La tranquillité et le rythme lent des forêts procurent un sentiment de stabilité et d’apaisement inébranlable. Cependant, loin de la passivité apparente de ces plantes, celles-ci luttent pour leur survie au même titre que les organismes. Il a été constaté en particulier que les arbres pouvaient utiliser la mémoire comme mécanisme de défense. Cette défense permet à un être vivant, en effet, de stocker ses expériences afin d’adapter au mieux son comportement en fonction des circonstances. Pour l’heure, la communauté scientifique s’accorde à dire que les végétaux n’ont pas de cerveau à l’instar de l’Homme, à savoir un organe nerveux centralisé dans une tête, et constitué de neurones capables d’emmagasiner les informations.
Quand bien même, l’écologue Monica Gagliano souhaite nuancer cet absolu. À l’issue de ses récentes études, elle défend l’idée que certaines espèces peuvent se souvenir de situations vécues. La chercheuse australienne prouve ainsi que la sensitive (une variété de mimosa) est apte à discriminer un stimulus, considéré de prime abord nocif. Celui-ci sera par la suite assimilé à une normalité. Allant à l’encontre de ce qui avait été établi, ce résultat a été obtenu en parsemant sur ses feuilles des gouttes d’eau à répétition, sur une période donnée. Tandis qu’au début les feuilles se rétractaient au moindre contact, plus l’expérience avançait, moins elles se refermaient, jusqu’à rester constamment ouvertes. Conclure à un apprentissage est d’autant plus justifié que l’arbuste reproduit cette attitude malgré le fait qu’il n’ait reçu aucune gouttelette pendant plusieurs semaines. Ayant intégré que l’eau n’était pas dangereuse, la plante a su modifier son instinct primaire. Le mimosa est donc apte à analyser, puis à apprendre une information indépendamment d’une variation des conditions du milieu. L’explication biologique sous ce processus d’acquisition reste jusqu’à présent énigmatique.
Le système racinaire, l’hypothétique centre nerveux des arbres
Depuis le XIXe siècle, il est admis par les scientifiques que les racines transportent de nombreuses informations par le biais de messages chimiques. Des théoriciens suggèrent même qu’elles soient le siège de l’instruction, comme décrites précédemment, chez les végétaux. Frantisek Baluska, doctorant de l’Institut de botanique cellulaire et moléculaire à l’Université de Bonn (Allemagne), rejoint cette pensée. Son témoignage, recueilli par Peter Wohlleben dans son livre La vie secrète des arbres, atteste que « les pointes des racines sont équipées de dispositifs analogues au cerveau ». Pour appuyer son propos, Wohlleben rapporte que « quand les racines rencontrent des substances toxiques, des pierres infranchissables ou des milieux trop humides, elles analysent la situation puis transmettent les changements nécessaires aux zones qui assurent la croissance. De cette façon, les racines changent alors de direction et contournent l’obstacle ».
Le Wood Wide Web ou les arbres hyperconnectés
SSi la mémoire d’un arbre se fructifie en surmontant des épreuves issues de sa propre vie, alors il est cohérent de concevoir qu’il la lègue et s’inspire de celle de ses congénères, grâce à un afflux de molécules messagères.
Cette conjecture repose sur le principe qu’il existe d’ores et déjà une communication profondément établie entre les racines d’une forêt, assurée par les mycorhizes (association symbiotique avec des champignons). Ces échanges se vérifient lors d’un partage de nourriture, ou lorsque l’on mesure des émissions de protéines activant des substances toxiques pour se protéger d’un prédateur.

Un comportement s’y approchant est observé dans les forêts de sapins de Douglas canadiens. Pour se préserver des larves du Choristoneura occidentalis (papillon invasif originaire d’Afrique) qui actuellement les ravagent, ces conifères s’envoient mutuellement via le Wood Wide Web, désignant l’immense réseau souterrain de mycorhizes interconnectés, des protéines de défense afin que chaque arbre aux alentours concentre des molécules indigestes dans leurs aiguilles. À noter que la plupart de ces interactions sont une réponse à un stress.
Il s’avère donc que les arbres aient compris le fameux dicton « l’union fait la force » et l’appliquent à chaque fois que l’occasion s’y prête. Assagis par le temps, peut-être contemplent-ils voire même s’interrogent sur ces femmes et ces hommes essayant de percer les mystères de leur mémoire.
Guillaume Marchand et Margaux Abello
Image: Domaine forestier du Col de la Luère dans les monts du Lyonnais (Rhône-Alpes).
Crédit : Margaux Abello.