Ana et Mia : ces ennemies virtuelles

Dans les pays occidentaux, 3 à 4% d’adolescents souffriraient de troubles du comportement alimentaire, dont 230 000 femmes en France. L’anorexie, entre autres, est une des maladies psychiatriques avec le taux de mortalité le plus élevé, avec jusqu’à 10% des anorexiques qui feraient une tentative de suicide.

 

Je suis ton amie. Doucement, je te prends par la main, je te montre le chemin. La route qui te mènera vers ce que tu as toujours désiré : la minceur. Je m’infiltre dans ton corps et dans ta vie, pour corriger tout ce que tu fais de travers. Je te surveille du coin de l’oeil et te murmure des remarques à l’oreille sur un ton réprobateur, pour être sûre que tu suives mes conseils. Petit à petit, tu ne pourras plus te passer de moi. Les résultats dans le miroir te plairont, mais ne te suffiront plus. Tu me demanderas des conseils avisés. Je ferai plisser tes yeux de bonheur lorsqu’après un énième repas manqué, tu souriras devant la glace. Je prendrai le contrôle de chacun de tes travers : la sucrerie cachée dans ton sac, tes yeux qui louchent devant la boulangerie, la bouchée de trop… Si tu me fais confiance, je ferai de toi une reine et rendrai tes os saillants ainsi que ton ventre plat. Je ferai souffler le vent entre tes cuisses et traçerai un sillon creux au centre de ta poitrine. Tu seras belle. Tu seras rayonnante. Ferme les yeux. Laisse toi faire. Je veux ton bien. Ta peau molle et grasse ne sera qu’un vilain souvenir. Mais, derrière le pantin dont je tire les ficelles, je t’apprendrai à sourire, comme si tout allait bien, comme si tu étais la même. Ceux qui t’aiment n’auront aucun doutes, aucun soupçons. Et bientôt, nous serons inséparables.

Je suis ton amie. Je suis Ana.

 

Cette apologie de la maigreur peut facilement être retrouvée sur des sites dits de « thinspiration » ou « pro-ana », où les troubles du comportement alimentaire (TCA) sont prônés comme un vrai mode de vie. Ces communautés ont commencé à voir le jour au début des années 2000, les blogs prônant la maigreur extrême regorgent de photos de corps décharnés, de commandements à respecter (être mince est plus important qu’être en bonne santé, tu compteras les calories et restreindras tes apports…). Ces individus derrière l’écran déclarent que l’anorexie a de nombreux bénéfices : « tu seras capable de voir tes beaux et purs os, tu auras un contrôle total sur ta vie ». Ou encore : « les hommes te trouveront plus attirantes ».

 

Afin de mieux appréhender le mouvement de ces communautés, il faut comprendre la diversité de ces troubles. Le plus connu est l’anorexie mentale, défini selon la Haute Autorité de santé (HAS) comme : « fait de refuser l’alimentation et la prise de poids alors même que le corps est amaigri. La personne peut avoir recours à une hyperactivité physique et à un contrôle obsessionnel du poids ». Il y a aussi la boulimie, qui « se caractérise par des épisodes répétés de crises : absorption de grandes quantités de nourriture dans un temps restreint, suivie de comportements compensatoires inappropriés tels que des vomissements provoqués ». Ce trouble ne doit pas être confondu avec l’hyperphagie boulimique, où il n’y a pas de comportements compensatoires. Ce sont les trois TCA les plus fréquents, d’autres existent mais touchent une moindre part de la population.

 

Les hommes ne sont pas épargnés

Souvent, l’idée reçue est que seules les femmes en souffrent. Pourtant, ces maladies concernent également un pourcentage non négligeable d’hommes. Dans ses dernières recommandations datant de 2010, la HAS indiquait que l’anorexie mentale touchait un garçon pour dix filles tandis que 40% des personnes souffrant d’hyperphagie boulimique sont des hommes. Dans un cas comme dans l’autre, c’est surtout une dysmorphophobie corporelle (obsession d’un défaut imaginaire ou d’un petit défaut physique) liée à un régime restrictif qui catalysent le début d’une descente aux enfers. Récemment, les nouvelles injonctions diffusées par les médias en exposant des corps masculins fins et musclés, entraînent souvent pour les hommes une attention exacerbée de leur apparence. D’autant que ce genre de troubles est particulièrement alarmant chez les jeunes femmes de par sa médiatisation mais souvent plus silencieux chez les hommes. Il ne faut pas oublier que ce sont des maladies multifactorielles qui évoluent souvent sur des terrains de fragilité émo
tionnelle ou des pression scolaires. La prise en charge étant souvent tardive, il est essentiel de libérer la parole autour des TCA qui touchent les hommes.

L’orthorexie, TCA nouvelle génération
La pression sociale a fait naître un nouveau trouble, une maladie alimentaire du XXIe siècle : l’orthorexie. Du grec orthos qui veut dire « droit » et orexis qui signifie « alimentation », le terme est apparu pour la première fois dans le dictionnaire Larousse en 2012. L’orthorexie traduit l’obsession d’une alimentation saine. Il ne s’agit pas de dire que faire attention à ce que l’on mange relève de la névrose, mais plutôt qu’au-delà d’un certain seuil, la dérive n’est pas loin. Mâcher ses aliments à répétition, s’interroger sans cesse sur la provenance des produits que l’on consomme, passer des heures à penser à son repas ou à sa préparation… Cette préoccupation peut même aller plus loin. Sabrina Debusquat a été orthorexique pendant plus d’un an. Dans son livre « métro, boulot… bonheur ! », elle raconte comment la nourriture était presque devenue une religion. Dans un objectif de pureté, elle pesait tous ses aliments et en prenait la température. Allant jusqu’à critiquer ses proches qui ne suivaient pas ce régime, elle a fini par perdre ses cheveux à cause des carences nutritionnelles. Autant d’indices qui laissent à penser que les préoccupations véhiculées par les derniers scandales alimentaires et la responsabilisation des systèmes de santé publique sont à prendre avec mesure.