L’histoire de l’Homme est une histoire de migrations. Celle d’une espèce qui a franchi toutes sortes de frontières, et dont l’esprit de conquête est inscrit dans l’ADN.
« Attention danger de mort. La montagne en hiver est dangereuse ». L’inscription est traduite en quatres langues : français, italien, anglais et arabe. Le panneau se trouve à Bardonecchia, une petite commune du Piémont en Italie, point de passage de migrants qui désirent franchir les Alpes en cet hiver glacial. Sans gants, parfois sans chaussures, ils seront sûrement renvoyés en Italie, presque congelés. Toutefois, ils essaient d’arriver en France par cette voie. C’est une des frontières qui entravent le parcours de ceux qui fuient la misère, la famine et la guerre. Ils ont déjà traversé les mers, les déserts, et ont subi toutes sortes de contrôles à l’arrivée dans un nouveau pays. Le flux migratoire est pourtant inexorable, affirme Alexandra Novosseloff, politologue, dans une interview au Monde : « Aucun mur n’arrêtera la migration vers l’Europe ». Un phénomène analysé par Karl Marx en 1853 dans un article pour le New York Daily Tribune : « Pour ce qui concerne l’émigration forcée de nos jours […] ce sont les forces de production qui pressent sur la population ». Le développement économique, la désagrégation paysanne, le marché du travail ou les guerres, sont aujourd’hui le moteur de la migration.
L’étude des migrations à l’aide de la génétique
Notre espèce est en mouvement depuis ses origines. La conquête du monde a commencé il y a 100 000 ans, et depuis l’Homo sapiens franchit les frontières, qu’elles soient naturelles ou politiques. Les hypothèses formulées par les historiens et les archéologues trouvent vérification dans les études en biologie. Grâce à la génétique, les scientifiques affinent de nouvelles méthodes pour « lire » l’histoire démographique des populations, des migrations, des expansions et des colonisations. Un pas décisif dans cette direction a été le Human Genome Project (HGP), conclu en 2003. Le séquençage complet du génome (la lecture intégrale de notre ADN) a montré que tous les êtres humains partagent 99,9% du matériel génétique. Notre espèce est si jeune que, malgré les migrations, les adaptations climatiques, la sélection naturelle et la dérive génétique, les races humaines n’existent pas. Les études menées sur la population pour analyser les mouvements sont donc basées sur le 0,1% de matériel génétique qui nous distingue. Les chercheurs comparent les SNP (Single Nucleotide Polymorphism) des individus : ce sont les variations génétiques des bases d’ADN qui nous rendent uniques.
La conquête du monde à partir de l’Afrique
C’est en comparant les polymorphismes de 1027 individus, qu’une étude publiée en 2005 dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) a pu observer une corrélation entre distance géographique et variations génétiques. Au sein des populations d’Afrique de l’Est, il existe une variabilité importante : deux sujets d’un même pays en Afrique sont probablement plus différents du point de vue génétique, qu’un européen et un africain. Cela s’explique par le fait que l’Afrique était le point de départ de l’Homo sapiens. La population a moins bougé et a accumulé des mutations. Par contre, l’Amérique du Sud a le taux de variabilité le plus faible. C’était probablement l’une des dernières destinations des migrations préhistoriques. L’article suggère que notre espèce, à partir d’une région d’origine, est arrivée par petites étapes à atteindre tous les coins du monde. Encore une fois, elle a traversé déserts, mers, montagnes et glaciers. Aucune frontière n’a réussi à l’arrêter. Ce premier acte de conquête était déterminé par la nécessité de trouver de nouvelles terres cultivables.
C’est donc une migration en réponse à la croissance démographique, mais également en lien avec le développement des techniques de production, comme le suggère une étude publiée en 2017 dans la revue PNAS. Grâce à la génétique, les chercheurs ont pu identifier trois grandes vagues migratoires en Eurasie, dans la période qui va du Mésolithique à l’Âge de fer. La première vague est observée au Néolithique et correspond au développement de l’agriculture ; la deuxième pendant l’ Âge du bronze peut être expliquée par le développement des réseaux commerciaux et des innovations technologiques. La dernière correspond à l’Âge de fer. Les auteurs proposent une corrélation entre migration et développement du commerce de guerre durant cette période.
Suivront la formation et la dissolution des empires, les colonisations, les invasions, les phénomènes de déportation forcée, comme la traite des esclaves du XVIe au XIXe siècle. L’ADN garde une trace de tous ces événements. L’article publié dans Science en 2014, A genetic atlas of human admixture history, montre que la quasi-totalité de la population humaine est le résultat d’un mélange génétique dérivé de ces phénomènes.
Après avoir franchi de nombreuses frontières, marchant depuis toute son existence, l’Homo sapiens a conquis le monde et est aujourd’hui confronté à un nouveau défi : surmonter les frontières idéologiques qui séparent les hommes, tous de la même espèce. ■