Le photon rencontre le faux-jeton

Finalement, j’ai dû partir. Je m’y attendais un peu. Avec autant d’énergie produite par mon étoile, appelée Soleil, comment aurait-il pu en être autrement ? Moi, simple photon, je n’avais pas d’autre choix que de me laisser expulser ingratement par cette satanée boule de feu, sous forme de rayonnement électromagnétique.

 

Me voici maintenant dans le vide spatial, voyageant à la vitesse de la lumière vers de nouveaux horizons. À cette vitesse, tout me paraît bien étrange : tout est contracté. Les planètes, les étoiles, les astéroïdes, je vois tout aplati, comme des pizzas géantes. Tout sauf le temps. D’ailleurs, le temps n’existe pas dans mon référentiel. Ça n’a tout simplement aucun sens de l’utiliser sur moi. Quelqu’un pourrait me regarder pendant 3 heures, 3 jours ou 3 mille ans que ça ne changerait strictement rien à mon cas.

 

Tout de même, je crois que l’horizon vers lequel je me dirige actuellement est un peu particulier. Très particulier. Certains lui donnent le nom d’horizon des événements. Il est situé sur les bords de Sagittarius A*, le trou noir supermassif au centre de la voie lactée, vous savez, la galaxie des Terriens. Au vu de ce qu’il y a autour de lui, je me demande ce qui va m’arriver. Dans son voisinage, les choses sont étirées, spaghettifiées, de telle sorte que cela forme une espèce de grosse sphère géante déformante. Géante, parce que la partie centrale du trou noir a quand même un diamètre de 34 fois celui du Soleil.

Je suis maintenant très proche de Sagittarius A*. C’est étrange, tout à l’heure j’avais l’impression que dans son voisinage, tout était déformé ; maintenant que j’y suis, je me rends compte que je me déplace simplement en ligne droite. C’est comme si l’espace lui-même était courbé, ne laissant aucun recul pour percevoir cette courbure de l’intérieur.

 

Derrière l’horizon des événements, le noir absolu. Il sépare le visible et l’invisible. Le connu et l’inconnu. Je franchirai cette barrière, mais personne ailleurs dans l’univers ne me verra jamais l’atteindre. Pour une personne en dehors de la sphère géante déformante (telle que vous), je l’atteindrai après une durée infiniment longue. Le trou noir ne déforme pas seulement l’espace, il déforme aussi le temps.

 

J’ai franchi la frontière du visible. Je ne pourrai jamais revenir en arrière. Il me faudrait une vitesse bien supérieure à celle que j’ai. J’ai bien peur qu’il ne me reste plus qu’à tomber lentement vers le centre du Sagittaire.

 

Mathieu Gallais