Les nouvelles frontières du monde

L’être humain ne cessera jamais d’explorer. Mais à mesure qu’il explore, il ressent également le besoin de s’approprier. S’approprier les espaces, les territoires, les ressources. Dans cette mission, sa meilleure arme se nomme « frontière ». Mais dans un monde où tout semble avoir été découvert, que reste-t-il à s’approprier ?

25 000 km de nouvelles frontières en 20 ans

La mondialisation est paradoxale. À l’heure de l’unification du monde, les frontières sont de plus en plus nombreuses. À en croire le géographe Michel Foucher, depuis les années 90, plus de 25 000 km de nouvelles frontières ont été créés. C’est près de neuf fois celles de la France métropolitaine. Les frontières ont tendance à être vues comme immuables, alors qu’il n’en est rien. Elles se décomposent et se recomposent en permanence. Il y a deux ans encore, la Belgique modifiait sa frontière avec les Pays-Bas, cédant à son voisin 13 hectares de terres. Mais les conséquences de ces aléas géopolitiques ne se limitent pas à la terre ferme. Au-delà d’être de vastes étendues d’eau salée, les océans sont aussi le lieu de conquêtes territoriales. Ces étendues représentent 71% de la surface du globe. Loin d’être vierges, les océans sont parcourus de câbles, parsemés de débris et morcelés de frontières. Eaux territoriales, zones économiques exclusives, eaux internationales : toutes ces délimitations constituent des points de tension. Depuis la fin du XIXe siècle, la Chine revendique de nombreuses îles inhabitées, comme Senkaku-Diaoyu, afin d’étendre ses frontières maritimes en mer de Chine. Cela lui permettrait d’exploiter des ressources en poissons, en hydrocarbures et d’avoir plus d’influence sur le trafic maritime de la zone.

Le réchauffement climatique fait déjà des heureux

Entre 2002 et 2016, la calotte du Groenland aurait perdu 286 milliards de tonnes de glace chaque année. C’est le constat d’une étude du Centre américain des données sur la neige et la glace (NSIDC). La fonte de la calotte glaciaire arctique libère des espaces qui étaient jusqu’à présent impraticables. Qu’est-ce que cela signifie ? Que de nouvelles routes plus courtes se dessinent pour le transport maritime de marchandises. C’est également l’opportunité de mettre la main sur des ressources naturelles jusqu’ici prisonnières des glaces. Du pétrole, mais surtout du gaz de schiste. L’Arctique est à cheval sur les États qui bordent le cercle polaire : les États-Unis, le Canada, l’Islande, la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie. La Chine a lancé un programme d’investissement pharaonique concernant entre autre des infrastructures en Russie, au Groenland, en Norvège et en Alaska. L’objectif ? La création de trois nouvelles routes de la soie dont l’une serait celle de l’Arctique. Une présence extra-frontalière qui permettrait à la Chine d’exporter plus rapidement ses produits, notamment vers l’Europe. Ces investissements à long terme placeraient l’empire du Milieu à l’avant-garde du contrôle du trafic maritime arctique.

Vers de nouveaux fronts pionniers

Les océans sont traversés par des câbles reliant les continents. Ces câbles révèlent un espace considéré par certains géographes comme le septième continent : Internet. Dans son mythe d’origine, Internet doit être un espace libre et égalitaire. Les frontières territoriales y sont abolies, créant des espaces transnationaux. Alors que les notions d’espace et de temps semblent ne pas s’y exercer, ce sont des facteurs économiques (capacité d’accès au réseau) ou encore linguistiques qui dessinent de nouvelles frontières. Dans une logique de contrôle et de sécurité, d’autres visions insistent sur la nécessité de construire des frontières numériques. C’est le cas de certains gouvernements, ainsi que de grands fournisseurs d’accès à internet (FAI). D’après AccessNow, 37 coupures partielles ou totales d’Internet par les gouvernements ont été relevées en 2015. L’organisation à but non-lucratif, qui défend un Internet libre, indique également que la majorité de ces coupures ont eu lieu en Inde. Décidée le 14 décembre dernier, l’abrogation de la neutralité du net aux États-Unis va également dans ce sens. Elle pourrait créer des espaces plus ou moins faciles d’accès sur Internet.

Romain Hecquet