Les kiosques à journaux subiront-ils le même sort que les malheureuses cabines téléphoniques ? Le smartphone fera-t-il disparaître la presse papier comme il a éradiqué les téléphones publics ? L’arrivée dans nos vies de ces outils numériques a changé les règles du jeu médiatique. Aujourd’hui, la consommation de titres papiers ne cesse de chuter, concurrencée par l’information en ligne. Face à cette mutation, la profession journalistique cherche à s’adapter. Récit d’une lutte digitalisée.
Selon une étude réalisée à partir d’un échantillon de sites d’actualités de AT Internet, en 2015 38% des visites s’effectuaient depuis un smartphone. Les terminaux mobiles gagnent donc du terrain, grâce notamment au système d’applications. Chaque grand titre propose désormais une application qui centralise les informations sous forme de fil d’actualités ou de rubricages pertinents. L’interface de nos smartphones est devenue un étalage de titres divers et variés. De nombreux journaux ont choisi d’adopter le modèle freemium, qui donne accès à des articles gratuits avec une proportion de papiers payants, réservés aux abonnés. Une formule qui fait concurrence titres papiers qui représentent un budget certain, pour les jeunes notamment. La mise en marché du premier Iphone en 2007 correspond au déclin fulgurant de la diffusion de la presse papier. Un bouleversement qui a vu naître de nouveaux modèles médiatiques.
Le phénomène de plateformisation
Les smartphone ont été un terreau fertile pour le développement des réseaux sociaux. Des platefromes comme Facebook et Twitter en tête, ont opéré une glissade passant d’interfaces communicationnelles à canaux d’informations. En mars dernier, Slate.fr dévoilait les résultats d’une vaste enquête sur la manière dont les 18-24 s’informent. On y apprend que les réseaux sociaux sont des intermédiaires privilégiés, 73% des répondants confient en effet accéder à l’actualité par ce biais, notamment sur des terminaux mobiles. Les éditeurs traditionnels (presse écrite et audiovisuelle) ont donc dû s’adapter face aux GAFA, leurs adversaires 2.0. Un affrontement ambivalent entre collaboration et concurrence, qu’on peut qualifier de « coopétition ». En effet, chacun a besoin de l’autre pour exister : les réseaux sociaux doivent être alimentés par du contenu informatif, alors que les éditeurs ont besoin d’accéder aux internautes. Mais une concurrence acharnée demeure entre ces deux acteurs, quant à la captation de revenus publicitaires.
Certaines alliances connaissent cependant de beaux succès, à l’image de Discover, le bouquet média de Snapchat. Depuis le lancement de la version française en 2016, le réseau a doublé son audience, et les médias élus (Le Monde, Paris Match, Cosmo ou encore l’Equipe) séduisent un public plus jeune. La plateformisation correspond a un basculement de la consommation des médias du web fixe vers le mobile où l’usager fait le choix de la centralisation.
La mutation des pratiques journalistiques
Qui dit mutation des supports, dit bien évidement transformations des méthodes de travail. Les lecteurs papiers ne sont pas les mêmes que les « scrolleurs » d’écrans, et les journalistes doivent s’adapter. C’est l’ère de l’économie du clic. Selon une étude menée entre 2010 et 2015 par l’agence Technologia, 78% des journalistes attestent que l’arrivée du numérique a été un changement notable pour eux. La conséquence principale de cette évolution c’est la polyvalence accrue des journalistes qui doivent acquérir de nouvelles compétences, comme la maîtrise des réseaux sociaux, l’association de contenus (photos, sons, infographie) ou le besoin de réaliser de plus en plus de veille Internet. Les sites en ligne ont remodelé la manière de produire des articles. A la recherche, la vérification et la présentation de faits, se sont ajoutés des tâches de mise en scène de l’information. Il faut accrocher le regard qui glisse sur l’écran.
La temporalité de l’information obéit désormais aux lois de l’immédiateté. Alors qu’avant, un quotidien décidait de son contenu lors de la matinale conférence de rédaction, aujourd’hui la diffusion d’actualités en ligne se fait au fil des heures. Et la ligne éditoriale dans tout ça ? Elle en pâtit évidement, du fait de prises de décisions moins concertées. L’information se standardise.
Un régime informatif saturé
Son smartphone à la main, le citoyen n’a jamais eu accès à une telle masse d’informations. Mais on peut regretter que la qualité ne soit pas à la hauteur de la quantité. Le sociologue Denis Muzet parle « d’Infobésité ». Ce gavage médiatique ne permet pas aux lecteurs d’assimiler correctement les contenus qu’ils consomment, et nuit à leur capacité d’exercer un esprit critique. Les articles eux-mêmes sont dépourvus de réflexions et rendent compte d’informations brèves sans travail d’analyse. Le paysage informatif est rendu uniforme par la loi de la circularité : chaque actualité est reprise par chaque titre, jusqu’à ce qu’une nouvelle chasse la précédente.
La forme rédactionnelle est elle aussi standardisée, du fait des exigences du référencement qui implique une densité de mots clés, au détriment du propos.
Certains médias ont décidé de prendre le contre pied de cette tendance et proposent des reportages de fond sans reprendre un sujet maintes fois traité. C’est le modèle du slow journalism qui s’adresse à un public moins volatil, soucieux de son expérience de lecteur. Dans le genre, le site Le quatre heures n’est pas disponible sur smartphone, mais uniquement sur tablettes et ordinateurs.