Paons, beauté et sélection sexuelle

De Darwin à nos jours, l’observation du comportement animal a montré que la beauté joue un rôle fondamental dans le choix du partenaire.

On est en 1860, un biologiste barbu désespère face au phénomène inexplicable qui remet en question sa récente théorie de l’évolution. « La vue de la queue du paon me fait tomber   malade », Charles Darwin (1809 – 1882) écrivait ainsi à son ami Asa Gray. Pour quelle raison la nature devrait-elle choisir un caractère aussi encombrant et visible, qui ralentit le mouvement et fait de l’animal une proie facile ? C’est la question qui le tourmente. La seule réponse que le scientifique anglais a pu se donner est : pour plaire aux femelles. Être attrayant, c’est un instrument que le mâle utilise afin d’être choisi par l’autre sexe et s’assurer « l’immortalité » à travers la reproduction. Ainsi, dans une étrange danse, les paons agitant leurs queues colorées sont choisis, et le trait physique considéré attrayant (une queue touffue et symétrique dans le cas du paon) est transmis de génération en génération. Ce phénomène a été appelé par Darwin : sélection sexuelle. La beauté donc non seulement évolue au fil du temps mais est elle-même un critère qui conditionne l’évolution.

La beauté, un signe de bonne santé

Depuis lors, de nombreux biologistes se sont demandés ce qu’il se cache derrière ces choix esthétiques communs dans la nature. Sont-ils déterminés par un sens esthétique abstrait qui n’a pas de fonction pratique ? Ou les traits considérés comme beaux sont-ils une indication d’un meilleur équipement génétique ? La seconde hypothèse est, probablement, la plus raisonnable. La beauté est, dans la plupart des cas, une manifestation de l’état de santé de l’animal et les traits considérés comme attractifs sont associés à des gènes avantageux à transmettre à leur progéniture.

Cela vaut aussi pour le paon, comme suggéré par une étude française publiée en 2005 dans la revue Behavoral ecology and sciobiology (Multiple sexual advertisements honestly reflect health status in peacocks). L’abondance des plumes et des ocelles de la queue de l’animal semble être associée à un système immunitaire plus efficace comparé à celui des individus ayant un plumage plus pauvre.

Les couleurs chatoyantes et les motifs harmonieux attirent, bien évidemment, mais qui dit beauté en nature, dit surtout symétrie. La symétrie est aussi une preuve de bonne santé. Pour le paon par exemple, une queue symétrique signifie une absence de parasites. Et encore, plusieurs études menées dans les années 90, conduites par John Swaddle et Innes Cuthill, montrent que les diamants mandarins et les hirondelles choisissent leur partenaire en fonction de la symétrie des couleurs de leur plumage, ce qui indique une bonne résistance au stress et une meilleure capacité adaptative.

Ce qui n’est pas beau est ingénieux, et crée la beauté

Parfois, la beauté dans la nature se manifeste en ingéniosité et en créativité, comme le montre le poisson-globe Torquigener. Comment une femelle peut-elle vous repérer quand vous êtes un petit poisson de 12 cm perdu dans un immense océan ? Cette petite créature qui habite les mers du Japon, a trouvé une méthode infaillible. Il attire l’attention de la femelle en créant de magnifiques cercles sur le sable. En une dizaine de jours, il arrive à créer des structures de près de deux mètres qu’il prend la peine de décorer avec des morceaux de coquillages et des petits cailloux. Un travail minutieux, au terme duquel la femelle inspecte l’oeuvre et, si elle est à son goût, dépose les oeufs au centre du cercle où ils peuvent être fécondés par le mâle. Le rôle de toutes les collines et vallées créées avec tant d’effort devient alors clair : elles permettent la protection des oeufs contre les courants marins. On ne sait pas ce qui attire exactement la femelle. Un cercle plus élaboré est probablement préférable, mais les dimensions comptent aussi. Une structure imposante est preuve de la force physique de celui qui l’a créée.

Bien entendu, il y a beaucoup d’autres formes de sélection sexuelle : le chant des oiseaux, la compétition des spermatozoïdes.. Le phénomène est même présent dans le règne végétal, mais à un niveau plus rudimentaire.

Néanmoins, l’analyse des caractéristiques sexuelles transmises par ce système (la queue du paon, le plumage symétrique des oiseaux) montre qu’elles représentent en réalité une garantie pour le partenaire et pour la progéniture qui va bien au-delà de l’esthétique. Le sens du beau chez les bêtes, mentionné par Darwin, les guide vers le choix évolutif le plus avantageux. ■

 

Camilla de Fazio