Mon histoire commence à Sul de Minas, au Brésil, par une belle matinée de juin. Il m’a fallu sept mois pour être fin prêt. Autour de moi, l’agitation est de plus en plus frénétique, j’entends qu’on me cherche, j’entends qu’on m’approche, j’entends qu’on me trouve. Cette année encore, les Pickers se sont réunis. Tous ont une histoire, des vies différentes mais un but commun : survivre. Et ce qui fait vivre ces 3 millions de gens venus des quatre coins du Brésil, c’est moi : le grain de café.
Pour la plupart des gens, je me résume à un instantané à la pause de 10 h ou un p’tit Noiraprès le déjeuner. Pourtant, mon aventure commence bien avant de devenir une boisson chaude. Au commencement, je suis né dans une drupe aux couleurs chatoyantes, semblable à une cerise, enveloppé dans une pellicule argentée. Quand le moment se fait sentir, je suis cueilli par des mains rugueuses et abîmées. Abîmées par la vie, le temps, le travail, le café. Jeté dans un sac de toile avec mes congénères de l’espèce Arabica, je quitte la plantation et me retrouve dans un entrepôt non loin de là. À la manière d’un baptême, mon premier vrai contact avec le monde, c’est un bain. On me plonge dans l’eau, on me décortique, on me dépulpe, on me sèche et je me retrouve nu comme un ver. Alors que nous avons grandi à 950 mètres d’altitude, nous nous retrouvons là, étalés en plein soleil. Désormais on me nomme café vert, peu flatteur. Mais je dois concéder que mon teint n’est pas très aguicheur. Pourtant celui qui se fait appeler négociant semble me trouver particulièrement à son goût. Je me demande bien pourquoi il fait une telle fixation sur mon odeur ! Et toutes ces nouvelles mains qui me tripotent. Qu’il est bavard ce négociant, ça doit être fatiguant de me trouver autant de qualités. Je découvre alors que j’appartiens à la variété Red Catuai, qu’une fois transformé en boisson j’aurai un gout corsé, un peu acide et une odeur fruitée. La cueillette manuelle me fait gagner des points : nous, les grains, avons été scrupuleusement choisis par des yeux attentifs et experts. Il est assez convaincant, je suis enfin vendu. Mon nouveau propriétaire se fait appeler exportateur, il a l’air de ne pas trop se préoccuper de moi. Tout ce qui l’intéresse c’est ses histoires de ports, de bateaux, de cargaisons, de bourse… Je l’entends parler au téléphone, parler du Havre et de prix. Après un voyage qui me paraît interminable je revois enfin le jour. La lumière est différente, la température aussi, les gens parlent différemment, mais où diable ai-je atterri ? Comme au premier jour, je me retrouve balloté dans tous les sens et je finis par rejoindre un nouvel entrepôt. Je suis arrivé chez un importateur, celui là il va s’occuper de me vendre aux différents torréfacteurs qui voudraient faire de moi une boisson d’exception. Je commence à trouver le temps long, les rencontres fort nombreuses et me demande si je vais enfin retrouver un endroit où m’installer. Je reprends alors mon périple jusqu’à ce que des mains d’acier me saisissent, me plongent dans l’obscurité, me remuent dans tous les sens et soudain j’ai chaud. Très chaud… je change peu à peu de couleur, mon corps gonfle, se déshydrate, ma peau se craquèle et je commence à sentir fort, très fort. Je tourbillonne dans un dédale de métal jusqu’à me retrouver compressé, écrasé, moulu. A ce stade, je ne sais pas si on peut encore m’appeler grain de café. Qu’il est loin le Brésil, les mains des cueilleurs saisonniers, la douce humidité des tropiques. Maintenant, je me retrouve là, dans un sachet. Un commerçant m’a acheté et je devine que ce n’est pas encore mon dernier propriétaire. C’est alors à votre tour de me voir, de me tester, de me sentir… Et vous déciderez, vous aussi, si je suis à votre goût.
Juliette Dunglas