Un pot de colle

Ventouses de poulpe. Par cloud7days, licence Adobe Stock. Par cloud7days, licence Adobe Stock.

Un pot de colle ? Moi ?! Vous êtes tout simplement jaloux de ma force… Même pas besoin d’aller à la salle pour soulever des poids énormes. Mais vous savez quoi, je me sens d’humeur généreuse et je vais vous dévoiler mon petit secret : ce sont mes ventouses qui me procurent cette puissance !

Nombreux sont les plongeurs qui ont senti la prise collante d’un céphalopode curieux ou agressif sur leur corps. Le mystère derrière cette force surprenante réside dans les ventouses qui ornent leurs bras sur toute la longueur. Leur nombre varie selon les espèces mais certaines en possèdent plus de 2000 par tentacule, leur permettant de se déplacer, agripper ou encore chasser.

Si, à première vue, les ventouses de l’animal ressemblent à de simples frisbees blancs percés en leur centre, ce sont en réalité des membres puissants composés de deux structures anatomiques bien particulières. La première, facilement reconnaissable, est appelée infundibulum et correspond à la partie externe et donc visible de la ventouse. La seconde est une cavité nommée acétabulum, cachée derrière la surface et munie d’une protubérance très importante. C’est lorsque la pieuvre affamée se retrouve, par exemple, face à une crevette bien dodue que ces deux structures s’activent pour former une puissante ventouse et agripper la pauvre proie d’une tentacule de fer. 

L’infundibulum comme l’acétabulum sont composées de muscles puissants qui vont se contracter tour à tour au contact d’une surface. La première étape du mécanisme d’adhésion repose sur l’infundibulum. La contraction de ses muscles va permettre de modifier la périphérie de la ventouse pour qu’elle se plaque parfaitement contre la surface de façon à former un joint étanche. Les muscles de l’acétabulum prennent ensuite le relais. Leur contraction va entraîner une forte dépression dans la cavité de la ventouse. et c’est la différence de pression avec l’environnement extérieur qui va permettre la succion ! Cela semble facile dit comme ça, n’est-ce pas ? Pourtant, c’est un processus très sophistiqué qui interroge encore les chercheurs aujourd’hui.


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Mes chers confrères céphalopodes sont une source d’inspiration non négligeable pour les artistes. Au-delà des laboratoires où les scientifiques s’échinent à nous comprendre, nous apparaissons également dans la littérature, le cinéma, la mythologie ou même le jeu vidéo ! Laissez-moi vous présenter quelques-uns de mes illustres cousins……

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Under pressure 

Lorsque les muscles de l’acétabulum se contractent, l’épaisseur de la paroi diminue. Cependant, puisque le muscle est un tissu relativement incompressible, son volume est constant au cours du temps. Donc pour compenser l’amincissement de la paroi, la surface de cette dernière doit s’étendre, augmentant ainsi le volume de la chambre acétabulaire. Et puisque notre ventouse est scellée à la surface par le joint formé par l’infundibulum, l’eau ne peut pénétrer ou sortir de la cavité. Le problème ? Il reste la même quantité d’eau dans la chambre acétabulaire mais le volume de cette dernière a augmenté. Et donc pour compenser, la pression doit nécessairement diminuer. 

La pression correspondant à une force appliquée sur une surface, si la pression extérieure est égale à celle à l’intérieure, cela veut dire qu’il y a deux forces de même intensité qui s’appliquent des deux côtés de la ventouse. Mais dès lors que la différence de pression s’installe, la force appliquée à l’extérieur de la ventouse étant plus élevée, cette dernière se voit fortement “poussée” vers la surface. Et hop, elle adhère !

© Noémie Berroir [à partir d’une figure de l’article de Tramacere Francesca & al (2015)]

Gadget en plus

Les ventouses de poulpe présentent une particularité supplémentaire : une protubérance située dans la chambre acétabulaire. Bouger cette partie de la ventouse permet ainsi de moduler le volume de la cavité et donc de diminuer encore davantage la pression à l’intérieur pour renforcer l’adhérence ! La ventouse se décroche uniquement lorsque le poulpe décide de rompre le joint étanche formé par l’infundibulum, laissant l’eau se glisser de nouveau à l’intérieur de la cavité et rétablir la pression originale.

Les muscles rattachant les ventouses aux bras des céphalopodes peuvent s’étendre pour atteindre jusqu’à deux fois leur longueur originale, et permettent de faire pivoter les ventouses dans n’importe quelle direction. Chacun de ces disques blancs travaille indépendamment des autres, ce qui procure au poulpe une dextérité impressionnante. Il n’est pas rare d’observer un objet passer de ventouse en ventouse le long du bras d’un poulpe ! Des prouesses qui font pâlir les ingénieurs, nombreux à tenter de s’inspirer de ce mécanisme dans la domaine de la robotique

Noeuds impossibles

Un mystère reste de taille : avec autant de ventouses, pourquoi les bras des pieuvres ne se collent-ils jamais à leur corps ? Une étude israélienne parue en 2014, a montré l’existence d’un mécanisme d’auto-reconnaissance empêchant les bras d’interférer les uns avec les autres. À la suite de plusieurs expériences, les chercheurs ont pu observer que les bras de poulpes amputés ne s’accrochaient jamais à eux-mêmes ou aux bras d’autres poulpes, sauf s’ils étaient dépourvus de peau. De même, si la moitié d’une boîte de Pétri était recouverte de gel imbibé d’extrait de peau de poulpe, les ventouses tendaient à éviter cette moitié. Les poulpes seraient ainsi capables de secréter une substance chimique qui inhiberait tout contact entre ventouses et corps. Un animal décidément plein de ressources !

Noémie Berroir


Sources 

Tramacere, F., Pugno, N., Kuba, M. J., & Mazzolai, B. (2015). Unveiling the morphology of the acetabulum in octopus suckers and its role in attachment. Interface Focus, 5(1), 20140050. https://doi.org/10.1098/rsfs.2014.0050

Kier, W. M., & Smith, A. M. (2002). The structure and adhesive mechanism of octopus suckers. Integrative and Comparative Biology, 42(6), 1146–1153. https://doi.org/10.1093/icb/42.6.1146

Tramacere, F., Beccai, L., Kuba, M. J., Gozzi, A., Bifone, A., & Mazzolai, B. (2013). The Morphology and Adhesion Mechanism of Octopus vulgaris Suckers. PLOS ONE, 8(6), e65074. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0065074

Nesher, N., Levy, G., Grasso, F. W., & Hochner, B. (2014). Self-Recognition mechanism between skin and suckers prevents octopus arms from interfering with each other. Current Biology, 24(11), 1271‑1275. https://doi.org/10.1016/j.cub.2014.04.024