Lorsque les eaux des mers et océans à travers le globe se retirèrent simultanément, les travaux controversés de Jodie Alwin refirent surface, dix années après sa thèse et la vague de critiques qui l’avait alors privée de tout soutien dans la communauté scientifique.
A l’aube de ses 25 ans, Jodie avait compilé les découvertes de fossiles de trilobites ayant eu lieu en divers points du globe. Ces arthropodes avaient subi de plein fouet la pire extinction de masse connue. Voici 252 millions d’années, 95 % des espèces marines et 70 % des espèces terrestres avaient été balayées de la surface de la Terre. Les gisements étudiés par Jodie avaient la particularité de regrouper des individus se déplaçant dans la même direction. Curieuse, Jodie s’était occupée à recouper les lignes de leur migration, mettant au jour une convergence mondiale. Un point de départ hypothétique pour la fuite en avant des créatures marines du Permien.
Le jour du siphon fut une consécration pour Jodie Alwin. Partout à travers le monde, les côtes s’asséchèrent soudainement. Face à la panique généralisée, l’ONU consulta en urgence la seule personne à même d’apporter un semblant de réponse : Jodie Alwin. Au lieu de réponses, elle somma les membres de la laisser rejoindre l’armada qui s’apprêtait à rejoindre l’endroit où l’eau disparaissait. Au niveau de la dorsale transatlantique, en plein centre de l’océan du même nom…
Assise à l’arrière du cockpit, Jodie observait de loin les eaux tumultueuses se précipiter dans le gouffre qui s’ouvrait devant ses yeux. La symphonie des pâles d’hélicoptère se mélangeait au vacarme des tonnes d’eau s’évanouissant dans l’abîme, alors que Jodie songeait aux navires et autres sous-marins engloutis par cette gueule béante. Comme attirées par l’haleine fétide, les mouches kaki et leurs occupants virevoltaient au-dessus de l’océan furieux. Un appareil quitta subitement la formation, s’approchant dangereusement des falaises liquides… avant de planer à l’aplomb du vide. Que purent bien y voir les hommes et les femmes à bord de l’appareil, leurs mains rivées aux accoudoirs et leurs yeux plongés dans l’inconnu ? Quoique ce fût, le pilote fut assez effrayé pour armer son ogive et l’envoyer sans plus tarder vers les profondeurs abyssales…
Jodie avait tout juste compté jusqu’à trois qu’un rugissement terrible ébranla le frêle esquif, les vibrations le balançant littéralement d’un bord à l’autre du siphon. La terreur qui dut saisir ses occupants ne dura qu’une seconde. La suivante, l’hélicoptère avait sombré dans les eaux noires et écumeuses, comme gobé par une formidable aspiration. Mus par un instinct de survie commun, les pilotes se dispersèrent dans toutes les directions, les moteurs tournant à plein régime. La « chose » coupa leur fuite en un éclair. Un lasso démesuré, noir comme la nuit, fendit l’air, dépassant les flots sur des dizaines de mètres. La vitesse d’exécution de l’arme mortelle dépassait de loin les capacités optiques humaines, et le massacre se résuma pour Jodie à une suite d’explosions, provoquées par une ligne floue traversant à toute allure l’armada volante.
La « chose » se rétracta, quatre appareils sur la quarantaine originelle flottant en périphérie du siphon, lequel s’élargissait désormais de seconde en seconde. Jodie ne se réjouissait pas d’avoir été épargnée lors de cette première riposte. Ses pires craintes se révélaient fondées. Lentement, elle ferma les yeux, se remémorant les hypothèses concernant la fin du règne des dinosaures tout en se concentrant sur sa respiration. Des kilomètres plus bas, à des pressions inimaginables, un corps titanesque s’extrayait pesamment de sa gangue de sédiments, déposés au fil des ères géologiques. L’hibernation prenait fin, 65 millions après le dernier réveil. Dans quelques heures, le Léviathan foulerait de nouveau les terres de son royaume. Et sa faim était dévorante…
Romain Fouchard