On a tous une idée de ce qu’est la langue de bois, mais qu’est-ce qui la définit vraiment ? L’origine du terme en France vient d’une traduction du Polonais « langue de chêne », qui visait à décrire le discours inflexible du pouvoir autoritaire soviétique. Mais dans nos démocraties occidentales, il est maintenant omniprésent et ne désigne pas tout à fait la même chose.
Le terme renvoie à une langue, mais encore faut-il qu’elle existe. Dans sa forme la plus commune, elle prend plutôt la forme d’un usage particulier de la syntaxe, à base de formules toutes faites. Mais comment les linguistes étudient cette forme de discours ? Pour eux, plus que d’étudier ce qu’elle est, il s’agit d’étudier ce qu’on entend par là. Car c’est bien le récepteur du discours qui va parler de langue de bois, il faut donc savoir sur quels critères il se base pour en juger.
L’idée générale veut que la langue de bois renvoie à une prise de parole vide, dont le but est de changer de sujet, d’éviter une question.
« Il est important pour moi de rappeler encore une fois à nos concitoyens mon engagement profond et total concernant les problématiques inhérentes au développement durable et son inclusion dans une logique de revalorisation de l’action publique.»
Si vous avez décroché à la phrase précédente, c’est qu’elle regroupe quelques-uns des plus fréquents usages linguistiques de la langue de bois : le fait de commenter sa propre déclaration (« il est important pour moi de rappeler »), utiliser des bouts de phrases préconçues, allonger la durée de la phrase, ou user de concepts très vagues vidés de leur sens (« revalorisation de l’action publique »).
Cette phrase est également impossible à contredire et ne provoquera aucun débat, et s’opposer à son message principal serait mal perçu socialement.
Cette phrase, je l’ai inventée, et si vous voulez vous prêter au jeu, il existe plusieurs simulateurs sur internet. Et si ces générateurs existent, c’est bien que cette langue est très prévisible et codifiée.

Mais même si nous reconnaissons les phrases entendues souvent dans la bouche de personnages publics, la définition n’est pas si claire que ça. Certains linguistes y trouvent des sous catégories, comme la langue de coton ou de plastique, et parlent des langues de bois. Bien que cette classification ne soit pas partagée par tous, elle démontre la complexité de décrire le phénomène.
On peut la dénoncer, mais la langue de bois exploite en réalité la plus grande faiblesse du langage de manière générale : celle de ne pas refléter directement la réalité.
Elle peut même être utilisée pour en fournir une certaine vision, et cela passe par des détails du discours. L’usage de certains mots plutôt que d’autres n’est ainsi pas anodin. Par exemple, nous entendons maintenant parler de « croissance négative » au lieu de « décroissance », ce qui ne renvoie pas le même message. Cette ambiguïté, les politiques en usent. C’est pourquoi certains linguistes font le rapprochement avec le novlangue de Georges Orwell. Christian Delporte, (auteur d’ « Une histoire de la langue de bois ») fait cependant une distinction entre la langue de bois en régime autoritaire de celle utilisée en démocratie. Dans le premier cas, le but est effectivement d’enlever la possibilité de réfléchir aux auditeurs du discours. En démocratie, le devoir que les politiques ont de s’exprimer, même quand ils ne le veulent pas, explique son importance dans le discours politique.
Ce qui est sûr, c’est que la xyloglossie (autre petit nom de la langue de bois) a encore de beaux jours devant elle, et pour approfondir ce sujet passionnant, je vous conseille la vidéo du Stagirite sur le sujet : « LDB #9 – Le pouvoir des mots – Spécial langue de bois ».
Marion Barbé
Images :Le bois. Crédits : Pixabay.
Le générateur de langue de bois : l’Enatronic (Institut Iliade).