L’histoire de la forêt, l’histoire de l’Homme

Avec 16,9 millions d’hectares, les forêts occupent aujourd’hui 31 % du territoire français métropolitain et continuent de progresser. Mais cela n’a pas toujours été le cas. À l’aube de la Révolution française, la forêt connaît son pire état et ne couvre plus que 12 % du territoire. Quelle histoire les forêts nous racontent-elles ?

Les légendes médiévales colorent les forêts d’aventure et de magie. Dans la forêt de Sherwood dans le Nottinghamshire (Angleterre), se réfugient Robin des Bois et les autres hors-la-loi. Mais la forêt n’est pas uniquement un lieu évocateur où se déroulent les contes populaires. Entre le Ve et le Xe siècle, la civilisation européenne recule avec la chute de l’Empire romain, le déclin démographique et l’abandon des villes. La nature avance alors, et s’approprie les espaces abandonnés. L’historienne Marine Chalvet explique dans son livre Une histoire de la forêt, que le changement climatique, le début d’une période humide et pluvieuse, favorise le développement de la forêt.
À cette époque, les bois en France appartiennent aux rois, mais les paysans peuvent l’utiliser. Les forêts sont associées à l’élevage, offrent des terrains de chasse, mais aussi de la matière première pour la construction d’outils et d’armes. De plus, le bois est le seul combustible de l’époque. De nombreux métiers, urbains et ruraux, sont donc basés sur l’exploitation des forêts.

Le défrichement des forêts en Europe

C’est au Xe siècle que débutent les grands défrichements des forêts européennes. La civilisation se développe, de nouveaux villages naissent et une période de déforestation commence. C’est au Xe siècle que débutent les grands défrichements des forêts européennes. La civilisation se développe, de nouveaux villages naissent et une période de déforestation commence. Il devient de plus en plus clair que les forêts sont un atout à préserver et, à une exploitation abusive, s’oppose une tentative d’encadrer légalement l’utilisation des forêts. Pas « par souci de conserver à l’environnement boisé ses vertus naturelles, mais le désir de favoriser la L’histoire de la forêt, création et la survie d’entreprises », selon l’historien Philippe Braunstein. La première ordonnance sur l’exploitation et la vente du bois remonte à 1219, sous le roi Philippe Auguste. Une période de privatisation de la forêt s’ouvre, au cours de laquelle les seigneurs tentent de limiter l’accès aux paysans.
Comme dans une danse lente suivant le rythme des siècles, chaque fois que l’Homme fait un pas en arrière, la Nature fait un pas en avant. Au milieu des années 1300, l’humanité se retire, décimée en Europe par la peste noire et, en France, par la sanglante guerre de Cent ans. La forêt avance alors, pendant un siècle environ, et la végétation sauvage envahit les espaces autrefois cultivés.

La matière première de l’industrie navale

Le XVe siècle marque le début d’une nouvelle ère avec la découverte du Nouveau Monde et la possibilité de conquérir un continent entier. Mais pour lancer la conquête, la France a besoin comme les autres puissances européennes, de navires capables de traverser l’Atlantique. Le bois joue ici un nouveau rôle essentiel dans l’économie des États : il devient la matière première de l’industrie navale en développement. Les chantiers sont, à cette époque, très gourmands en bois : pour la construction d’un grand bateau, il faut couper environ 4 000 chênes centenaires. L’industrie et l’économie devant être préservées, les forêts deviennent donc « un trésor qu’il faut conserver », comme l’affirme le ministre des Finances de l’époque, Jean-Baptiste Colbert. C’est précisément l’ordonnance de Colbert en 1669 qui, pour la première fois, dote les forêts royales d’une législation et d’un règlement de police.

La forêt sous l’ère industrielle

Sous l’ère industrielle, la société se transforme et évolue vers le capitalisme. Le développement du pays passe par l’exploitation de ses ressources, comme le bois. La métallurgie, par exemple, connaît un développement important et nécessite un apport conséquent en bois pour alimenter ses fourneaux. Le bois sert aussi à chauffer et à construire dans un pays qui s’industrialise. Cet essor économique conduit à une surexploitation des bois et à une déforestation intensifiée : de 1700 à 1827, la forêt française perd environ 1 million d’hectares.
Mais cette surexploitation effraie de peur de manquer de bois. Accompagnée par les progrès des mathématiques, de la cartographie, de la botanique et de l’arboriculture, la gestion devient plus rationnelle et rigoureuse. La sylviculture, c’est-à-dire l’ensemble des techniques d’exploitation rationelle des arbres, naît au XVIIIe siècle. Le forestier qui autrefois était plutôt un agent de police des bois, devient un administrateur formé à cette nouvelle pratique.

La Révolution : une libéralisation de la forêt ?

Le dispositif législatif de contrôle de la forêt par la couronne est contesté de toutes parts : par le paysan, par le clergé et par le seigneur. Le pouvoir peine à trouver son rôle dans la gestion des forêts. Fin XVIIIe, les révolutionnaires animés par des revendications libérales, veulent rompre avec le régime centraliste des monarques absolus. Ils confient la gestion des bois aux autorités locales et aux propriétaires privés. Mais à partir de 1791, en raison des dérives et de l’angoisse d’une disette de bois, les monarchies, empires ou républiques doivent être garants de l’administration des surfaces boisées. En 1827, le code forestier soumet la gestion des propriétés collectives (bois municipaux et domaniaux) au service des eaux et forêts.

Vers une nouvelle progression de la forêt

Dans cet esprit d’administration contrôlée, le XIXe siècle connaît de nombreux reboisements. C’est le cas par exemple des landes de Gascogne. Sous le second Empire, la loi de 1860 impose le reboisement dès que l’intérêt général le réclame. On reboise, pour produire plus mais aussi pour empêcher des catastrophes naturelles comme les inondations. Cependant l’état n’est pas le seul investigateur de la reforestation : la plupart des reboisements sont dues à des particuliers exploitant des terres incultes pour les rendre rentables.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le changement de mode de production agricole, comme l’arrêt du pâturage en forêt, l’introduction du charbon de terre, la concurrence étrangère et les reboisements, permettent une poussée des forêts. L’étendue boisée française passe d’environ 7,5 millions d’hectares en 1827, à 8,4 millions en 1840 et à 9 millions 1862.

La forêt, témoin de la destruction

L’histoire de la forêt est étroitement liée à l’histoire de l’Homme : au développement économique et aux bouleversements politiques et sociétaux. Les guerres ne font pas exception. Lors de la Première Guerre mondiale, le bois sert à de nombreux usages : consolider les tranchées, construire des lits, alimenter les fours, développer les voies ferrées. La forêt sert aussi de champ de bataille. On s’y bat, on s’y enterre, on y construit les tranchées. Cette forêt a donc été profondément marquée par les combats. Durant la Grande Guerre, 340 000 hectares de forêts furent détruits par le feu, les obus, les bombardements aériens et les mines. La forêt de Verdun, classée forêt d’exception, porte encore aujourd’hui la marque de la puissance destructrice de la guerre de 14-18. Elle se donne une nouvelle fonction : celle de lieu de mémoire.

Camilla de Fazio et Kadidia Simeon

Images :
Champs de bataille de Verdun en 2005. Crédit : Institut Iliade.
Évolution de la population et des forêts françaises en fonction du temps. Crédit : Antonin Cabioc’h.