Phénomène physiologique conservé dans le monde animal durant l’évolution, le sommeil puise ses origines il y a peut être quelques 600 millions d’années. Un état de récupération et de vulnérabilité qui est en fait partagé par beaucoup d’êtres vivants.
« Dormir, c’est se distraire du monde. Le sommeil est le plus secret de nos actes. » – Jorge Luis Borges
Petits et gros dormeurs
Pour éliminer les produits toxiques que nous accumulons pendant la journée, pour relâcher les réseaux de connexions nerveuses, pour se réapprovisionner en énergie, pour inscrire les souvenirs dans la mémoire durable ou pour permettre au cerveau de réaliser les tâches qu’il ne peut effectuer lors de l’éveil ; le sommeil trouve de nombreuses raisons à son existence.
Si l’humain et le dègue du chili (petit rongeur), dorment en moyenne 8 heures, les Douroucouli, les singes nocturnes, dorment eux jusqu’à 17 heures et les chèvres elles, se déconnectent durant 5 heures. Quant aux mammifères marins, ils possèdent la particularité de dormir par alternance des hémisphères cérébraux. Il a été observé chez les otaries, qui vivent une partie de l’année dans l’eau et l’autre sur terre, qu’elles changeaient de mode de sommeil. Calqué sur les dauphins durant leur intermède marin, et semblable au nôtre à leur retour sur le plancher des vaches. Le sommeil alternatif est également observé chez certains oiseaux migrateurs, ou encore chez des animaux sujets à la prédation comme les canards colvert. Une étude de Nature publiée en 1989, a prouvé que dans un groupe de canards endormis, ceux se trouvant à l’extrémité du groupe adoptaient ce demi-sommeil si particulier.
Ainsi, il semblerait que le milieu de vie et les cycles jour/nuit ne conditionnent pas le sommeil de la même manière. Les raisons qui poussent les êtres vivants à dormir ne seraient pas seulement un besoin physiologique, mais aussi une adaptation. De ce fait, le sommeil pourrait être considéré comme un caractère évolutif.
Le ballet des cycles
L’horloge circadienne qui coordonne pendant 24 heures les activités du corps et du cerveau de l’Homme, est ponctuée par des moments de pause. Il est observé d’une part, un phénomène compensateur de rebond lorsque l’Homme vient à manquer de sommeil durant une nuit, et d’autre part une alternance de différentes phases dans le sommeil. Durant une nuit, 4 à 5 cycles d’une durée d’1h30 se succèdent. Ces cycles sont composés de phases dont celle du sommeil dit paradoxal. Lorsque ce dernier est mesuré par imagerie, il se différencie du sommeil dit profond par des vagues d’activités rapides, une acuité visuelle semblable à l’éveil, mais un état du corps profondément endormi. Ainsi, le sommeil paradoxal est observé chez plusieurs animaux mais dans des proportions, des durées et des fréquences différentes. Le plus grand clivage se fait entre les animaux dits homéothermes, comme les mammifères terrestres qui régulent leur température, et les poïkilothermes, comme les reptiles, qui ne peuvent en faire de même. Une étude publiée dans Science en 2016, a précisé ce lien en émettant l’hypothèse selon laquelle les phases de sommeil seraient apparues il y a 350 millions d’années chez un ancêtre poïkilotherme commun aux mammifères et aux sauropsides, le groupe qui comprend les crocodiles, serpents et oiseaux.
« Rien n’a de sens en biologie si ce n’est à la lumière de l’évolution ». Comme le disait Dobzhansky Theodosius, les différentes formes de sommeil trouvent leurs origines dans l’évolution et dans les raisons qui poussent les êtres vivants à se plonger dans un état de torpeur, de pause.
Si jusque là, il a été mis en évidence une corrélation entre le repos du cerveau et le sommeil, il est légitime de se questionner sur l’existence de cet état chez des organismes dépourvus de cerveau, mais possédant un système nerveux.
La valse lente des méduses
Dans une étude publiée dans Neuro en 2000, il a été montré que la drosophile, plus communément appelée mouche, dort. Ou tout du moins, elle passe une partie de la nuit dans un état d’immobilité, sans manger et ne réagissant que très peu aux stimuli extérieurs. De même, la méduse cube passe 15 heures dans un état léthargique comparable au sommeil des mammifères.
Pourtant elle ne possède pas de cerveau, seulement des yeux et des ocelles, des photorécepteurs sensibles à la lumière. Dans une étude menée par trois étudiants, publiée dans Current Biology en 2017, il est prouvé que Cassiopea dormait durant la nuit. Plongée elle aussi dans un état lent où seules les fonctions vitales sont préservées. Cet animal fait partie des cnidaires qui, avec les cnétaires, sont les premiers groupes à avoir acquis les cellules nerveuses il y a 600 millions d’années. Ces observations indiqueraient que le sommeil pourrait être un état physiologique ancestral nécessaire au fonctionnement du système nerveux avant même d’être indispensable au cerveau.
Mécanisme de repos et de quiétude du corps, permettant à l’animal de se préserver du monde extérieur, puis avec l’évolution, pour se préserver de l’agitation de l’esprit. Une autre question se pose alors. Doit-on avoir des cellules nerveuses pour dormir ? Les éponges dorment elles ?
Juliette Dunglas