Le poivre de Sichuan est une épice qui déclenche une sensation unique de picotements et d’anesthésie de la langue. Cette sensation provient d’une molécule naturellement présente dans la plante : le sanshool. Agissant sur les récepteurs de la peau, le sanshool invite son consommateur à goûter le toucher.
Son goût frais et amer tranche avec la sensation de chaleur et d’insensibilisation de la langue qu’il procure. En effet, le poivre de Sichuan est considéré comme un condiment à part dans le grand groupe des épices. Originaire de la province du Sichuan en Chine et cultivé initialement en Asie du Sud-Est, cette épice provient de l’écorce du fruit du clavalier, encore appelé fagara ou poivrier de Sichuan, un arbuste de la famille des rutacées au même titre que le citronnier ou le pamplemoussier. La caractéristique de cette famille de plantes réside dans ses feuilles. Celles-ci présentent des glandes dites oléifères, qui produisent des huiles essentielles odorantes. Ainsi, le poivre de Sichuan, contrairement à ce que son nom indique, est issu d’un agrume. Il pousse sous la forme d’une petite baie mais seule la coque, très parfumée, est conservée. Afin d’être consommée, elle subit une préparation qui consiste à la sécher et à la moudre. Très apprécié en Asie, le poivre de Sichuan est une épice aux usages multiples. « C’est avant tout une affaire de culture, mes parents l’utilisaient beaucoup dans la cuisine pour agrémenter nos plats » explique un gérant d’un traiteur vietnamien. Outre ces attraits culinaires, la médecine traditionnelle chinoise se sert de l’épice depuis des siècles pour guérir de nombreux maux. Les fervents adeptes de la médecine alternative d’Asie l’emploient soit sous sa forme naturelle dans des plats, soit sous forme d’huile essentielle. Cette dernière possèderait des propriétés antimicrobiennes, antifongiques (contre les champignons) et anthelminthiques (contre les vers). Ses autres principaux bénéfices consistent à dynamiser et à soigner les troubles digestifs, ainsi qu’à activer la circulation sanguine. En Chine, le poivre de Sichuan, connu pour ses effets physiologiques notoires, peut parallèlement être employé comme anesthésiant.
Cet effet anesthésiant émane d’une molécule, le sanshool, également responsable de l’effet de picotement et d’insensibilisation caractéristique de ce faux poivre. Retrouvée dans toutes les plantes du genre Zanthoxylum, le sanshool est un amide, une molécule carbonée très réactive à son environnement, composée d’un atome d’azote et d’un atome d’oxygène. Cet amide active les fibres somatosensorielles de la peau et crée ainsi des sensations cutanées. La peau est composée de couches successives de tissus : l’épiderme, le derme et l’hypoderme. Si l’épiderme, la couche la plus superficielle, protège le milieu intérieur d’un organisme du milieu extérieur, le derme possède une utilité bien différente. Ses principaux rôles consistent à nourrir l’épiderme via les vaisseaux sanguins, à texturer la peau grâce à des molécules protéiques comme le collagène et l’élastine, mais également à l’innerver afin qu’elle puisse ressentir les vibrations, les pressions et les étirements de l’environnement extérieur : c’est la proprioception. Chacune de ces sensations est perçue par l’organisme par l’intermédiaire des fibres somatosensorielles qui collectent toutes les informations provenant du corps de l’individu.
L’innervation du derme de la peau est composée de deux types de récepteurs : à adaptation lente et à adaptation rapide. L’α-hydroxy-sanshool active en plus grande quantité les récepteurs à adaptation rapide. Parmi ces récepteurs, les corpuscules de Pacini et ceux de Meissner sont ceux que l’on retrouve le plus couramment en grande quantité, notamment dans le derme des lèvres. Ces deux mécanorécepteurs spécialisés dans la reconnaissance des vibrations et du toucher sont les principales cibles du sanshool. En effet, les perceptions induites par la molécule sont comparables à des symptômes paresthésiques, c’est-à-dire à des picotements provoquant des sensations de fourmillements et de vibrations. À titre d’exemple, la fréquence perçue du picotement correspond à 50 Hertz, soit la même fréquence que le courant électrique domestique européen. Ajoutés à ces perceptions, les effets du sanshool sur tous les autres mécanorécepteurs de la peau peuvent expliquer les sensations contradictoires de chaleur et de fraîcheur des tissus, ainsi que l’anesthésie locale et passagère que nous procure l’épice. De même, dans l’étude Food vibrations : Asian spice sets lips trembling menée par le professeur Patrick Haggard en 2013, il est précisé que le α-hydroxy-sanshool emprunte les mêmes voies d’activations tactiles que les vibrations mécaniques. Ainsi la molécule caractéristique du poivre de Sichuan, le sanshool, stimule le goût en imitant le toucher.
Si le sanshool est actuellement reconnu pour ses effets physiologiques chez l’homme, il demeure une molécule étudiée par d’autres disciplines curieuses de connaître ses autres propriétés. À l’image de l’agriculture chinoise, qui lui a découvert un rôle phytoprotecteur pour la culture du riz, contre les dommages du métolachlore, un désherbant. Ainsi, dans le futur, il pourrait devenir une solution naturelle contre certaines pollutions.
Le pouvoir antioxydant des épices asiatiques
Produits de luxe, objets de toutes les convoitises, les épices ont toujours eu une place de choix dans le quotidien des Hommes. L’Asie du Sud-Est est l’une de ces terres où cultiver et consommer ces condiments relèvent de traditions millénaires. Là-bas, un mélange reste très reconnu et apprécié de ses habitants : les cinq épices. Cette combinaison constituée de cinq épices régionales se compose de clou de Girofle, de poivre de Sichuan, d’anis étoilé, de cannelle de Chine et de fenouil. Selon Swann Illouz, nutritionniste, ce mélange est un produit excellent pour la santé, doté d’importantes propriétés antioxydantes. Ces dernières possèdent la capacité de prévenir et de réduire les maladies cardiovasculaires et certains cancers. À consommer sans modération.
Guillaume Marchand