Les terres rares : moteur du high-tech ?

Propriétés exceptionnelles et bas coût ont fait des éléments chimiques dits « rares » les plus prisés de la technologie moderne. Le fort impact social et environnemental a forcé les pays occidentaux à interdire leur exploitation. La Chine, qui a placé ce secteur en haute priorité, détient aujourd’hui un quasi-monopole.

La première utilisation significative des terres rares date de 1910 avec les pierres à briquet, conçues à partir d’un minéral appelé ferrocérium. Un siècle après, l’apparition des smartphones et des tablettes a déclenché une forte demande en terres rares. Au point qu’elles sont devenues des ressources primordiales de l’industrie de l’électronique. Les technologies dites  « vertes », tels que les cellules photovoltaïques et les éoliennes, demandent ces matériaux aux propriétés performantes.

Les terres rares du tableau périodique des éléments

Les terres rares se composent de 17 métaux, dont les 15 éléments appelés lanthanides placés en bas du tableau périodique, ainsi que le scandium et l’yttrium. En réalité, ces métaux ne sont pas si « rares » et certains sont aussi répandus dans l’écorce terrestre que l’aluminium ou le cuivre, des métaux plus ordinaires. Profondément enfouis dans une matrice discrète, des analyses chimiques sont nécessaires pour les dépister. La complexité de production et de raffinage de ces terres demande un temps et une consommation énergétique considérables. À l’heure actuelle, l’exploitation et le traitement de cette matière première représente un grand risque pour l’environnement.

Domination chinoise

On utilise environ 40 éléments chimiques pour la fabrication des smartphones, ce qui représente plus de 30 % des éléments connus, dont une grande partie des terres rares. Une raison qui suffit à les considérer comme des ressources stratégiques. Cependant, dans la plupart de pays les réglementations empêchent l’extraction des terres rares. C’est le cas des États-Unis et de l’Union Européenne, riches en gisements, mais où l’exploitation est interdite. Pour cette raison, la Chine détient aujourd’hui le quasi-monopole avec 83 % de la transformation des terres rares en 2016 selon la U.S. Geological Survey (USGS), l’organisme gouvernemental américain consacré aux études géologiques. Avec des réformes économiques, la politique de Pékin envisage d’offrir ces matières « rares » ainsi que les produits finis à des prix sans concurrence.

Graph : Daniel Rosales. Source : U.S. Geological Survey (2018)

Des propriétés magnétiques, optiques, électriques et catalytiques sont attribuées à ces éléments longtemps oubliés. Ils sont aussi devenus stratégiques dans des secteurs tels que l’énergie verte et la défense. On les utilise même dans la production des biens de consommation comme les ordinateurs, les lecteurs DVD et les enceintes. D’après un rapport du 2014 de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), « [ils] représentent de manière générale une faible part des coûts de production des biens finaux ». Grâce au petit prix et aux propriétés remarquables, les terres rares ont été adoptées progressivement par l’industrie depuis une trentaine d’années. C’est l’arrivée de nouvelles technologies mobiles qui a fait exploser la demande. Depuis 1994, la production mondiale déclarée de terres rares a été multipliée par deux. La Chine passe de 30 à 126 mille tonnes entre 1994 et 2016 d’après l’USGS, soit une augmentation de plus de 400% de la production interne.

Un portable « rarissime »

En général, seize terres rares sont présentes parmi les composants d’un smartphone. Le prométhium n’est pas utilisé à cause de sa radioactivité. L’yttrium, l’europium, le terbium et le gadolinium sont notamment utilisés dans la fabrication de luminophores inorganiques, les substances responsables des lumières rouge, bleu et verte des écrans de nos portables. Le néodyme compose les aimants permanents utilisés par les microphones, les haut-parleurs et le dispositif magnétique qui permet la vibration quand le téléphone est en mode « silencieux ». Ce sont des aimants légers et compacts qui disposent d’une puissance magnétique et d’une longévité plus importante que les anciennes technologies basées en fer. Le samarium et le praséodyme font partie des composants des aimants, mais moins répandus à cause de leur coût plus élevé. Le terbium et le dysprosium peuvent intervenir aussi pour renforcer la résistance à la démagnétisation aux hautes températures. Cependant, un prix plus élevé et des risques sur les approvisionnements font du dysprosium un lanthanide à éviter chez les industriels, d’après le rapport 2014 des terres rares du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en France. L’oxyde de cérium et le lanthane sont employés pour polir la surface du verre de l’écran.

Après les tablettes et smartphones, les objets connectés arrivent sur le marché de l’électronique. Ils cachent aussi à l’intérieur une importante quantité de métaux rares parmi ses composants. C’est donc un marché en plein expansion. Cependant, la question du développement durable est encore à revoir, car l’exploitation de ces matériaux « rares » ont un fort impacte pour l’environnement. De plus, si les réserves se voient sensiblement affectées, une tension pourrait s’installer sur les marchés des hautes technologies. Un secteur dépendant des terres rares, dont la substitution est loin de possible avec les connaissances actuelles.

 

Daniel Rosales