Dans le cadre du journal L’Octopus portant sur la beauté, une mosaïque de différents artifices de beauté indissociables de la douleur ont été présentés. Parmi eux, le tatouage n’y figurait pas. La rédaction a donc décidé de consacrer un reportage sur cette pratique. Comment se concrétise un projet qui se transforme d’idée dans un coin de la tête à un compagnon pour la vie ? Nous avons suivi un client dans le processus de son premier tatouage.
Samedi en toute fin de matinée, à la terrasse d’un café du treizième arrondissement parisien. Le manteau encore dégoulinant, Nicolas s’assoit devant son chocolat chaud. C’est le grand jour, la tension commence à monter. Moins d’une heure avant le rendez-vous fixé avec son tatoueur, l’appréhension de la douleur se fait de plus en plus importante. L’idée de se faire tatouer remonte pourtant à plusieurs années. En 2013-2014, lors d’un voyage en Afrique du Sud, un tatouage du profil topographique du Cap. A l’occasion d’un voyage en Polynésie, l’envie de se faire tatouer une tortue polynésienne. Malheureusement, cela n’a pas abouti.
Finalement, ce sera à Paris
Le premier tatouage n’aura pas lieu pendant un voyage, tant pis. « Il faut que ce soit un voyage hyper marquant ». La tortue polynésienne devra attendre. A la place, les silhouettes minimalistes de trois vagues – noire, bleue clair et bleue foncé – s’entrelaçant et faisant le tour de la cheville inaugureront le derme de Nicolas. Malgré tout, la crainte que le dessin du tatoueur ne corresponde pas à ce qu’il avait en tête l’empêche d’avoir l’esprit tranquille : un tatouage, ce n’est pas rien ! C’est pour la vie, alors il faut mûrir longtemps l’idée : « cela me correspondra-t-il encore dans quelques années ? »
Le regard des autres
Se faire tatouer, c’est un peu changer son image auprès des autres. Mais la famille de Nicolas s’est montrée plutôt compréhensive. En fait, quand Nicolas leur a dit que le rendez-vous était fixé, ils n’ont rien pu dire d’autre que « ah, ok ». Pour le jeune homme, leur avis compte peu. Même sur l’aspect professionnel, si le tatouage avait été plus voyant, il ne pense pas que cela aurait posé problème vis-à-vis d’un supérieur hiérarchique. Le seul problème pour ce professeur néo-titulaire, aurait été le regard des élèves s’il était arrivé avec un nouveau tatouage en cours d’année. Les élèves aiment beaucoup fantasmer sur la vie des enseignants, leur imaginer de folles péripéties en dehors du collège.
Quand c’est l’heure
A dix minutes du rendez-vous, Nicolas parcourt les quelques dizaines de mètres séparant le café et le salon de tatouage. Il entre dans la salle d’attente de Treiz’Ink où deux canapés se font face. A côté, un bureau avec du matériel de dessin informatique. Une décoration à base de crânes divers, humains et animaux, des piercing de toutes les tailles en vitrine. Au mur, des photos de différents tatouages et des cadres de certificats de formation ou de compétences des tatoueurs. Un fond sonore de musique lounge accueille Nicolas. Alexandre, le tatoueur, arrive. Après les présentations, il explique à Nicolas qu’il n’a pas reçu le croquis de son tatouage. Petit coup de pression pour l’enseignant, mais qu’à cela ne tienne : ils vont le travailler ensemble.
Un travail à deux
Alexandre et Nicolas reprennent les idées du tatouage. Un style minimaliste avec des traits fins. Oui, mais pas trop fin : c’est plus masculin et on voit moins les imperfections après cicatrisation. Trois vagues de trois couleurs les unes au-dessus des autres qui se recoupent. Sauf que si les lignes se coupent ça risque de faire trop chargé, pas très joli. Deux vagues alors ? Oui pourquoi pas. Et plutôt que se sectionner, les vagues peuvent se superposer, comme sur différents plans. C’est pas mal, ça commence à « avoir de la gueule ». Alexandre travaille sur sa tablette, avec des images trouvées sur le net. Nicolas, regarde par dessus son épaule. Le résultat lui plaît. Il se sent soulagé.
Derniers détails
Alexandre imprime le motif. Après avoir augmenté légèrement sa hauteur, il teste la longueur sur la cheville de Nicolas. Quand tout est bon, le motif papier est posé sur du papier carbone puis passé dans un appareil chauffant afin de reproduire le tatouage sur un support qui pourra adhérer à la peau de Nicolas. Dernière ligne droite, direction le studio d’Alexandre. C’est un petit bureau au sous-sol. Des images poétiques d’animaux, de crânes, de sirènes, des fleurs, des mandalas tapissent les murs de la salle exigüe. Ici, une baleine portant une caravelle sur son dos ; là, une carte du monde et enfin un miroir pour admirer le résultat du tatouage. Un plan de travail, des gants et des aiguilles, une poubelle pour les déchets à risque infectieux et un billard pour que les clients puissent s’allonger.
Le transfert
Alors que Nicolas prend place sur le billard, Alexandre prépare son matériel, en fredonnant au rythme de la musique résonant dans le salon. Une fois le bas de pantalon relevé, la cheville de Nicolas est lavée à l’eau savonneuse afin que la peau soit moins sèche. La cheville est rasée puis désinfectée avec une solution hydroalcoolique. « Ah, ça brûle un peu après avoir rasé » souffle Nicolas. Enfin, Alexandre applique une « colle » qui gardera l’encre du papier carbone selon le motif du tatouage sur la peau : c’est ce qu’on appelle le transfert. Nicolas vérifie la position des vagues dans le miroir, puis il s’allonge sur la table, désinfectée elle aussi à l’eau savonneuse. Alors que le tatoueur prépare les encres de couleur, Nicolas est un peu crispé : « est-ce que je dois m’attendre à hurler à la mort ? ».
Premier contact avec l’aiguille
« Ok, on y va, ce qu’il faut c’est que tu ne bouges pas » prévient Alexandre. Le vrombissement du moteur de l’aiguille s’élève dans la salle. Nicolas retient son souffle. C’est parti. « C’est comme avoir plein de piqûres de moustiques en même temps. Mais c’est supportable » dit-il, grimaçant. Certains endroits piquent plus que d’autres, là où les os sou-tendent la peau et où la chair n’est pas très épaisse. L’impression d’une griffure en profondeur, lente et intense. Alexandre, lui, est concentré et minutieux, faisant des allers-retours entre la cheville de Nicolas et les bacs à encre. Par moments, il tire la langue en s’appliquant sur son travail. Heureusement, Alexandre a la conversation facile : en discutant de surf et de paddle, les quarante-cinq minutes de tatouage passent plus rapidement pour Nicolas. « Plus de peur que de mal ».
Du cellophane et de la crème
Quand le travail est terminé, Alexandre passe de la pommade sur le tatouage avant de poser le cellophane dessus, à garder pendant deux ou trois heures. Il faudra également appliquer régulièrement de la crème spéciale durant la cicatrisation du tatouage, ce qui peut prendre quelques jours. Par la suite, il faudra l’hydrater régulièrement et le protéger du soleil. En définitive, Nicolas est satisfait du résultat. « C’est différent de l’idée originale, mais les conseils esthétiques qu’Alexandre a donné étaient judicieux, et au final le dessin reste simple comme souhaité, et garde l’esprit de base. Se faire tatouer est une bonne expérience ». Ainsi s’achève une aventure longue et courte à la fois. Longue car le premier contact pour le rendez-vous peut se faire longtemps avant la séance d’encrage. Courte car suivant la taille de la pièce, une session de tatouage peut durer de quelques minutes à quelques heures. Nicolas repart avec ses vagues à la cheville. Pour ce garçon originaire des Sables d’Olonne c’est important de garder un pied dans l’eau.
Antonin Cabioc’h