Si, aujourd’hui, le rire se rapporte à la joie, au bonheur et au plaisir, sa représentation par le passé n’a pas toujours été aussi positive. Cette expression libérée de l’amusement humain pouvait avoir différentes significations. Chez les Grecs, on différencie le rire joyeux, du rire mauvais et moqueur, mais durant le Moyen Âge, la distinction se brouille. Pour certaines branches du clergé, il n’est possible de s’approcher de Dieu qu’à travers un silence qui ne saurait être troublé par la bassesse comique. Au contraire, le rire déforme les visages et rapproche du diable. Le livre : Le Nom de la Rose d’Umberto Eco paru en 1980, illustre ce revirement. Dans celui-ci, le moine franciscain Guillaume de Baskerville et le moine bénédictain Jorge de Burgos, s’adonnent à de nombreuses joutes verbales à propos d’un livre perdu : le second tome de La poétique d’Aristote, traitant de la comédie. Dans son manuscrit, le philosophe expose le rire comme représentant de la liberté, ce que les moines bénédictins refusent et réfutent. Dans l’adaptation cinématographique de l’œuvre d’Eco, Jorge de Burgos s’exprime en ces termes : « Le rire exorcise la peur, et sans la peur il n’est pas de foi, car sans la peur du diable, il n’y a plus besoin de Dieu ». Pour les moines, cette crainte du diable apporte aux humains l’ordre et le discernement. Qu’adviendrait-il si l’homme déclarait tolérable que l’on rit de tout ? Peut-on rire de Dieu ? Face à ces questions, le rire apparaît pour les bénédictins surtout comme une source de chaos. Si les visions religieuses et les philosophies du comique ont bien changées, ces interrogations restent très actuelles : comme disait Pierre Desproges, « on peut rire de tout mais pas avec tout le monde ».
Alexandre Morales et Edgar Fagot
Sources :
Goff, J. L. (1989). Rire au Moyen Age. Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques. Archives, 3, Art. 3. https://doi.org/10.4000/ccrh.2918
Gugelot, F. (2019). Marc Lienhard, Rire avec Dieu. L’humour chez les chrétiens, les juifs et les musulmans. Genève, Labor et Fides, 2019, 280 p. Archives de sciences sociales des religions, 188(4), 365‑366. https://doi.org/10.4000/assr.49189
Problématique du rire dans Le Nom de la Rose d’Umberto Eco (1980) : De la Bible au XXe siècle—Persée. (s. d.). Consulté 6 novembre 2022, à l’adresse https://www.persee.fr/doc/bude_1247-6862_1999_num_58_4_2446
